Courrier des lecteurs

Le malaise hospitalier, pourquoi ?

Publié le 29/06/2018
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L’évolution du système de la transfusion sanguine annonçait-elle le déclin de la médecine hospitalière ? Nous n'avons pas retenu cette leçon. La loi du 4 janvier 1993 va en effet renforcer la tutelle de l'État sur le secteur public de la transfusion sanguine. L’État va prendre la main sur ce secteur dans un but très clair : ne plus avoir de transmission de maladies infectieuses après le scandale du sang contaminé. Les fonctions de contrôle et de production des produits sanguins sont séparées par la loi du 1er juillet 1998 qui transfère à l’Afssaps la responsabilité du contrôle de l'ensemble des produits sanitaires, et crée l'Établissement français du sang (EFS), opérateur unique de la transfusion sanguine.

La puissance publique va arriver à ses fins avec une transfusion parmi les plus sûres du monde sur le plan microbiologique, mais le prix à payer sera une diminution drastique de la recherche et un pilotage qui deviendra au fil des années uniquement parisien jusqu'à arriver à l'établissement unique de la transfusion sanguine basée à Paris et une quasi paralysie des initiatives individuelles au niveau des régions. Cette spécialité qui aura donné au monde parmi les plus grands médecins de France, va devenir au fil des années un simple producteur de produit sanguin standard aseptisé.

Des ARS aux ordres du ministère de la Santé

Le parallèle avec la situation hospitalière est étonnant. Les hôpitaux périphériques ne sont plus gérés en fonction d’un réel besoin territorial. Ils sont gérés par les ARS qui prennent directement leurs ordres du ministère de la santé sur des analyses produites par les ARS et sur des critères fournis par le ministre de la santé qui mixent ensuite les données de l’ARS et les pressions politiques locales pour imposer un schéma régional de santé souvent incompréhensible pour les médecins des secteurs.

Les médecins sont peu à peu dépossédés de tous leurs pouvoirs de décision et si beaucoup continuent à faire fidèlement leur travail au jour le jour, la motivation diminue et, dans les hôpitaux publics, les médecins se fonctionnarisent.

Le principal effet pervers des 35 heures aura été d’amputer les services de ces quelques heures par semaine qui permettaient la relève et l’analyse en commun des problèmes du service. Ce qu’on appelait autrefois la réunion de service autour du chef de service qui avait le dernier mot a été remplacée par le CREX et la RMM deux avatars de la démarche qualité chronophages et peu performants.

Aujourd’hui l’autorité médicale est scindée en deux, le chef de service qui a de moins en moins de pouvoir organisationnel, et la direction des soins infirmiers, qui prend le pouvoir par le biais de la nomination des cadres infirmiers.

Le fait que les médecins généralistes aient, pour une part, décroché au niveau de la durée de travail et limitent leurs activités, ne voulant plus travailler comme leurs aînés, explique en grande partie que l’activité des services d'urgence augmente.

La qualité de la prise en charge dans les services d'urgence en France est très inégale. C’est un peu la roulette russe. Dans le meilleur des cas, on attend plusieurs heures, dans le pire des cas, on tombe ensuite sur un médecin maîtrisant à peine le Français.

Pour piloter près de 3 000 établissements de santé dont 1 000 hôpitaux publics à partir d'un ministère de la santé, il faut une organisation extrêmement rigide avec un système d'assurance qualité reposant sur des procédures pas toujours adaptées au terrain et tout un système de contrôle et d'audit qui siphonnent pour une grande part les ressources de l'hôpital. On a voulu appliquer à l'hôpital public qui traite de l'humain des standards utilisés dans l'industrie aéronautique où l'industrie automobile.

Plus de moyens… et plus de procédures !

Le malaise de l'hôpital, dont on n'a pas fini de parler, concentre les contradictions de notre propre société. Actuellement, la réponse à ce malaise va être plus de moyens, plus de procédures, plus d'assurance qualité et donc plus d'argent dépensé dans un service de moins en moins efficace. Plus de procédures dont une grande partie est inadaptée, plus d’argent pour une utilisation de nouveaux outils informatiques totalement anarchique dans les hôpitaux avec des systèmes informatiques ralentissant dangereusement le temps de consultation et détournant l'attention du médecin vers son malade pour qu'il se concentre sur son écran.

Par ailleurs, la formation médicale n'a pas été véritablement repensée et l'intelligence artificielle arrivant, les médecins actuellement dans les hôpitaux ne sont pas préparés à intégrer ce nouvel outil qui en l’état sera un système imposé de l’étranger comme Google s’est imposé au reste du monde. Cela risque de les marginaliser, de les démotiver, en leur imposant une attitude diagnostique et thérapeutique standard qui finalement risque d'aller à l'encontre de la relation médecin-malade.

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Dr Emmanuel Rigal Médecin expert Chambéry

Source : Le Quotidien du médecin: 9675