« Il y a urgence à ce que le législateur s'empare du sujet hors des idées préconçues. Il faut un débat apaisé », déclare la sénatrice écologiste Corinne Bouchoux, rapporteure des travaux sur l'identité sexuelle indéterminée, avec sa collègue Maryvonne Blondin. « Nous avons un travail pédagogique à faire pour rendre ces personnes visibles et améliorer leur situation. La France est en retard », enchérit la sénatrice socialiste, alors que la justice vient de refuser, en appel, à un hermaphrodite d'exister à l'état civil sous le sexe « neutre ». Et qu'aucun chiffre ne fait consensus.
Pour cette première réunion, la parole a été donnée aux personnes intersexes et à deux associations aux orientations divergentes, l'Organisation internationale intersexe (OII) et l'Association maison intersexualité et hermaphrodisme Europe (AMIHE). Les témoignages sont bouleversants : des opérations chirurgicales parfois très précoces, à répétition (7 interventions entre 3 et 7 ans, rapporte Mathieu Le Mentec, militant à l'OII, et infirmier, et leur cortège de « douleurs, contention, sondes urinaires, infections, sentiment d'abandon »), souvent mal (ou pas du tout) expliquées aux enfants et aux familles. « À 6 ans, j'ai eu ma première intervention. Je ne sais pas ce qu'ils m'ont fait. J'ai 10 cicatrices au bas-ventre » témoigne Vincent Guillot, co fondateur de l'OII. D'autres confient des adolescences marquées par l'humiliation, des entrées dans la vie d'adulte et la sexualité chamboulées, et un long chemin pour s'accepter et comprendre que la « honte » n'est pas de leur côté.
sLa médecine sur le banc des accusés
Dans ces récits de vie, le corps médical n'est pas épargné. Les opérations sont vécues comme autant de « mutilations » ou « tortures », le consentement du malade est bafoué, tout comme son droit à accéder à son dossier médical. « Après un déni de 19 ans, je suis revenue voir le chirurgien qui m'a opéré à 17 ans. Il a fini par me livrer 2 pages de mon dossier médical à travers lesquelles je comprends enfin qu'on m'a retiré deux gonades qui étaient indifférenciées, sans pour autant présenter de risque médical », rapporte Nadine Coquet. La Caisse nationale d'assurance maladie qui rembourse les traitements tient le rôle du « complice ». Parmi les revendications de l'OII figurent en première ligne l'interdiction des opérations non consenties et non médicalement nécessaires (i.e. lorsque le pronostic vital n'est pas en jeu), le droit à l'autodétermination, des études sur le vécu de ces personnes, et des mécanismes de dédommagement.
Pouvoir des normes
Aux yeux de l'OII, mais aussi de la maître de conférences en psychologie Cristèle Fraïssé, la médecine pèche par ses pratiques normatives en cherchant à assigner un sexe social - toujours pensé dans la binarité, homme ou femme - à un enfant. « Les médecins sont prisonniers de leurs représentations » lorsqu'ils pensent « que les opérations chirurgicales visent à favoriser le bien-être social, à éviter toute stigmatisation liée à une anomalie, et à répondre aux désirs des parents. Ce ne sont pas des motifs médicaux », dénonce la psychologue. Jacqueline Descarpentries, maître de conférences en sciences de l'éducation, pointe un inconscient normatif similaire chez les formateurs à la santé sexuelle : « Certes les éducateurs informent que d'autres types de sexualité existent mais ils renforcent la binarité en employant comme matériel pédagogique le manège enchanté » (5 godemichés pour apprendre à enfiler un préservatif).
D'un point de vue juridique, les opérations chirurgicales frôlent l'illicite et bafouent le droit à l'intégrité physique en passant outre le consentement éclairé, sans qu'il y ait pour autant de nécessité médicale, soutiennent les avocats invités au Sénat. « On a un doute sur les avantages d'une opération face aux inconvénients que sont les douleurs physiques et psychiques » avance Clément Cousin (Panthéon-Assas). Et de proposer d'interdire leur remboursement par la CNAM lorsque la personne n'est pas apte à consentir.
Anomalies, mutations, et malformations...
D'autres voix appellent à la nuance, comme celle de Sylviane Telesfort, président de l'AMIHE, qui différencie mutation génétique conduisant à une anomalie du développement sexuel (ADS) (et donc relevant des maladies rares) et malformation congénitale. La médecine et la génétique portent alors la promesse d'investigations poussées pour établir un diagnostic, une des clefs dans l'autodétermination. Une autre personne intersexe dans la salle confie au « Quotidien » n'avoir pas vécu comme une mutilation l'enlèvement de ses gonades dans les premières années de sa vie et ne souhaiterait pas l'interdiction totale de toute opération non consentie.
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