En 1975, la loi Veil est venue répondre à un problème de santé publique en dépénalisant l’avortement, alors responsable du décès d’une femme par jour en France. À ces décès de femmes s’ajoutaient des blessures des organes génitaux, des conséquences sur la fertilité et la santé périnatale.
Dans le monde en 2019, il existe encore trop de pays dans lesquels les femmes continuent à mourir, à raison d’une toutes les 9 minutes, juste parce qu’elles n’ont pas le droit de recourir à l’avortement dans des conditions sanitaires correctes et qu’elles sont contraintes de s’imposer les pires tortures pour espérer être libérées des grossesses qu’elles ne veulent pas subir : une femme qui souhaite avorter avortera, l’histoire nous l’a montré, mais à quel prix ?
Allonger de 2 semaines le délai légal de l’IVG serait un progrès pour la santé publique et répondrait au besoin légitime d’autonomie des femmes à disposer de leur corps en toute sécurité et égalité.
De nombreuses situations peuvent amener une femme à demander une IVG après 14 semaines d'aménorrhée (SA).
Un frein à la découverte de la grossesse : poursuite d’un saignement attribué à des règles, absence de signe sympathique de grossesse, méconnaissance de la physiologie par défaut d’information ou idées reçues, dénégation de grossesse, rapport non consenti sous l’emprise de substances.
Il peut y avoir une découverte précoce mais des freins à l’accès à l’IVG : emprise de l’entourage et perte de liberté, erreur de détermination de terme… Mais aussi disparités territoriales d’accès à l’IVG : diminution du nombre de Centres IVG, limites de terme imposées par certains centres (hors la loi !), méthodes imposées, refus de soins en utilisant la clause de conscience, délais de rendez-vous allongés en période estivale ou par manque de personnel.
Ou encore un changement de trajectoire de vie : violences faites aux femmes et autres évènements de vie.
Triste réalité
S’ajoutent les « grossesses iatrogènes », liées au corps médical dont la formation à la contraception et à l’avortement est largement insuffisante : refus de pose de DIU aux nullipares, refus de prescrire une contraception à des jeunes filles soit disant trop jeunes, délais de rendez-vous pour une contraception trop longs, erreur de diagnostic de grossesse, errance médicale pour certaines femmes que des professionnels n’orientent pas au bon endroit dans les temps (hors la loi !), refus de dispensation de contraception d’urgence, méconnaissance des mécanismes d’action de la contraception et des relais contraceptifs… Ces carences ne doivent pas motiver l’allongement du délai de recours à l’IVG mais sont une triste réalité et participent à la survenue de grossesses non prévues et donc au besoin de les prendre en charge.
Ces femmes sont les mêmes que celles qui demandent une IVG avant 14 SA, mais pour elles, aujourd’hui, sur le territoire français, les seules possibilités sont :
- Poursuivre la grossesse et donner naissance à un enfant dont elles assumeront la maternité (seules ou non, le géniteur décidant de façon autonome, de partager cette responsabilité). Il n’existe pas de données sur ces femmes.
- Poursuivre la grossesse et donner naissance à un enfant qu’elles confieront à l’adoption avec toutes les conséquences physiques, psychiques et sociales pour la femme et pour l’enfant.
- Interrompre la grossesse dans des pays aux lois plus libérales, possibilité dépendant du statut social et familial car impliquant des freins financiers (800 à 1 000 euros et frais annexes) et juridiques (comment sortir du territoire pour une mineure sans autorisation parentale ou une femme sans papiers ?) ; et retardant la réalisation de l’IVG.
- Demander une interruption médicale de grossesse pour motif maternel, mais une part infime des demandes tardives d’IVG relève de l’IMG.
- Recourir à un avortement clandestin dangereux pour leur santé et puni par la loi.
Les médecins hollandais ou britanniques, entre autres, ont une expérience de l’avortement à des délais bien supérieurs aux nôtres. S’ils ont été en capacité d’acquérir ces techniques, pourquoi ne le serions-nous pas ? Leurs méthodes sont sûres et applicables en France.
Avorter de façon sécuritaire et égalitaire
Nous souhaitons assumer la part de notre exercice que nous déléguons à nos homologues des pays voisins, faute d’une loi nous autorisant à pratiquer des avortements plus tardifs que 12 semaines de grossesse.
En cas d’allongement du délai, le nombre de femmes ayant recours à l’avortement serait sensiblement le même qu’aujourd’hui, la différence étant que les femmes concernées avorteraient de façon sécuritaire et égalitaire.
En 2001 la loi Aubry a allongé de 2 semaines le terme au-delà duquel les femmes pouvaient recourir à l’avortement, évolution législative qui, selon les estimations, a permis à la moitié des femmes qui se rendaient à l’étranger pour faire une IVG de rester en France, en toute légalité, pour recourir à l’avortement dans les meilleures conditions sanitaires, avec une couverture sociale. L’allongement du délai de 12 à 14 SA n’a pas été assorti d’une augmentation notable du nombre d’IVG en France. Le rapport annuel établi par la DREES a montré cette année que : « le nombre des naissances et celui des IVG évoluent selon une tendance proche depuis 1990, si bien que le ratio d’avortements, qui rapporte, une année donnée, le nombre d’IVG au nombre total de naissances vivantes, reste plutôt stable au cours de la période » (DRESS, IVG 2018).
Notre rôle de médecin est de contribuer au maintien de la bonne santé des femmes, qui passe par l’application des lois qui les protègent et par un exercice de la médecine dans les meilleures conditions pour la pratique de l’IVG.
L’allongement que nous souhaitons a pour objectif de réduire les inégalités multifactorielles auxquelles les femmes continuent d’être confrontées, de répondre à un réel besoin pour la santé des femmes (OMS, 1946), et de respecter leur autonomie dans leurs choix reproductifs. Ainsi, nous serions en adéquation avec nos valeurs et celles du serment d’Hippocrate.
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