DE NOTRE ENVOYEE SPECIALE
L’HÔPITAL de La Rochelle ne connaît pas la crise. Un budget en excédent, une activité dynamique, des postes et des services créés chaque année. Et, cerise sur le gâteau, de bonnes relations en interne - les médecins louent une direction « de qualité », laquelle renvoie l’ascenseur spontanément. Bref, un hôpital serein et bien portant comme il en existe peu.
Les praticiens ne s’y trompent pas, nombreux à frapper à sa porte. Résultat, l’établissement affiche complet : pas un seul poste vacant. La réforme Bachelot ? Personne ici ne s’en est guère soucié. Jusqu’à cette nuit du 11 mars, durant laquelle les députés ont achevé l’examen du texte HPST. À quatre heures du matin, coup de théâtre dans l’hémicycle : Roselyne Bachelot fait passer des amendements qui chamboulent la gouvernance hospitalière. Les pleins pouvoirs aux directeurs, la Commission médicale d’établissement (CME) sur la touche, résumeront, outrés, les syndicats médicaux.
Le lendemain, comme dans tous les hôpitaux de France, les praticiens rochelais font grise mine. Et rien, depuis, n’est plus tout à fait pareil. « La nouvelle gouvernance n’est pas parfaite, mais est-ce nécessaire de tout changer ?, s’interroge le président de la CME, le Dr Thierry Godeau. C’est dangereux de tout remettre en cause. D’habitude, le climat ici est pacifique. Mais depuis plusieurs semaines, je reçois des mails de praticiens pas contents, prêts à signer une motion pour boycotter les instances. C’est un signal, car jamais cet hôpital ne fait grève. On a le sentiment que l’on déterre des haches de guerre. Pourquoi ? ».
À tous les étages de l’hôpital, c’est l’incompréhension. En salle d’internat : « On entend dire qu’il va falloir raccourcir les durées de séjour et faire du bénéfice, l’hôpital va devenir une entreprise lambda », relate une interne, pas sûre de ses sources, mais confortée dans son choix : « J’irai m’installer en ville ». En neurologie : « Les pôles, on n’y était pas favorable, mais on a fini par s’y adapter, observe le chef de service, le Dr Didier Vincent. On est parvenu à un équilibre fragile, mais qui fonctionne. Et là, on voit arriver quelque chose auquel on ne comprend rien ». Le Dr Vincent le concède volontiers : « La controverse ne porte que sur une toute partie de la loi ». Mais pour ses confrères comme pour lui, il s’agit d’un point capital. Combat d’arrière-garde ? Le neurologue s’en défend. « La disparition des services est inutile, argumente-t-il. Comment mon chef de pôle, diabétologue, pourra-t-il trancher sur un problème en cardiologie au sein du même pôle ? ». Et de mettre en garde : « Retirer à la CME ses droits, c’est agiter le chiffon rouge devant le taureau ».
Crispation
Comme le Dr Vincent, le Dr Catherine Bréhant fera grève aujourd’hui. Ce que la réforme HPST peut changer dans son quotidien, elle qui dirige le laboratoire ? « Je ne sais pas. Je suis polarisée sur la restructuration en cours, qui consiste à nous rapprocher du laboratoire de l’hôpital de Rochefort. J’ai lu le projet de loi en diagonale. Et je refuse la mainmise des directeurs sur les nominations et les décisions médicales ».
Au bloc, le son de cloche est différent. Le responsable du pôle, à des années lumière du débat national, a d’autres chats à fouetter : « L’accréditation, la reprise de parts de marché, la coopération avec Rochefort..., égrène le Dr Frédéric Gobert. Je n’ai pas lu la loi, ce n’est pas ma priorité. À quoi bon s’inquiéter ? Je ne vois pas le directeur gouverner sans les médecins ». En observatrice privilégiée, la cadre sup du bloc, Mercedes Michel, décrypte la situation : « Les précarrés disparaissent, les médecins sont en manque de repères ». Du Sénat, elle attend qu’il tienne tête au lobby médical. « Aujourd’hui, personne n’a aucun moyen de pression sur un corps médical tout puissant. Un praticien qui pose problème paralyse un pan entier d’activité. Quelqu’un doit pouvoir trancher ».
Ce n’est pas le chef de l’établissement qui la contredira. Alain Michel, en poste à La Rochelle depuis septembre 2008, se serait pourtant bien passé d’une telle crispation en interne. « Faire de la CME une coquille vide risque de conduire les médecins à se désengager, et répéter qu’il faut un super patron met peut-être de l’huile sur le feu, confie le directeur, non sans embarras . Il est impératif de maintenir de bonnes relations entre directeur et médecins. Cependant, il nous faut pouvoir trancher. Il ne s’agit pas de diriger à la serpe, mais de pouvoir rendre un arbitrage final en cas de désaccord. D’autant que nous serons sous l’il de l’Agence régionale de santé ».
Alain Michel est parvenu, jusqu’à présent, à ne pas se couper de la communauté médicale, mais il reconnaît qu’un conflit a surgi ces dernières semaines. Des praticiens - une minorité - sont en phase avec lui, tel celui-ci, qui préfère taire son nom : « Il faut bien quelqu’un qui tranche à l’hôpital. À Royan par exemple, les chirurgiens ne bossaient pas : l’ARH a fini par arrêter la chirurgie. À Rochefort, un oncologue ne faisait pas l’affaire, pourtant il est resté en poste des années. Il faut une volonté, un courage politique sur la gouvernance hospitalière comme sur la liberté d’installation ».
Jean-Pierre Cante, à la tête de la pharmacie de l’hôpital, n’est pas du tout d’accord. « Demain, s’il le souhaite, le directeur pourra décider, seul, d’externaliser la stérilisation, ou de ne plus considérer prioritaire la sécurisation du circuit du médicament ». Ce que redoute surtout son collègue psychiatre, le Dr Didier Lambert, c’est la disparition d’un système démocratique qui a fait ses preuves à La Rochelle . Et de prendre pour exemple cette situation récente, où la direction a voulu recruter un chirurgien de la main pour doper l’activité du bloc. L’idée a déplu aux chirurgiens orthopédiques en poste. Querelles intestines, blocage : la CME décide alors de sonder le corps médical. Le Dr Lambert y compris. « Même si je suis psychiatre, j’ai rendu un avis. Je trouve cela important ». Au final, la CME a tranché : le chirurgien de la main a été recruté. Son avis a légitimé la décision du directeur.
« Le directeur et moi, nous cosignons beaucoup de courriers à deux, expose le président de la CME. Ces jours-ci par exemple, c’est à deux que nous avons reçu deux médecins en conflit : nous avons réglé cela ensemble ». Sa conclusion : « Le rapport bénéfice risque de la loi HPST n’est pas prouvé. Le Sénat doit faire marche arrière sur la gouvernance ». Sinon, met-il en garde, même à La Rochelle, la situation pourrait s’envenimer pour de bon.
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