Les avortements devraient reprendre ces prochains jours à l'hôpital sarthois du Bailleul, entre Le Mans et Angers, après neuf mois d'interruption, à la suite du départ à la retraite du médecin qui pratiquait les IVG. Trois de ses quatre collègues avaient fait valoir leur clause de conscience. Le quatrième n'exerçait qu'à 60 %. Trop peu pour assurer la sécurité. D'où la décision du pôle santé Sarthe et Loire de la suspendre.
Une solution « fragile » - de l'aveu de l'hôpital - a été trouvée grâce au passage à temps plein du praticien réalisant les IVG, ce qui permet, en outre, aux sages-femmes, de pratiquer des IVG médicamenteuses sous sa responsabilité. En attendant la venue en janvier d'un médecin vacataire à temps partiel.
L'hôpital sarthois n'est pas un cas isolé. Régulièrement, selon les médecins interrogés par le « Quotidien », l'accès des femmes à l'IVG n'est plus assuré dans certains territoires ou certaines saisons (l'été).
Les chiffres manquent pour décrire la situation. Marisol Touraine avait demandé à toutes les agences régionales de santé (ARS) de réaliser avant décembre 2016 un diagnostic territorial sur l'accès à l'IVG dans leur région. Ce 18 septembre, la nouvelle ministre de la Santé Agnès Buzyn a de nouveau saisi les ARS pour connaître les taux de refus d'IVG. « Je veux m'assurer qu'il n'y a pas une augmentation du nombre de médecins qui font valoir la clause de conscience », a-t-elle dit après que le Dr Bertrand de Rochambeau a affirmé publiquement s'en prévaloir pour ne pas avoir à réaliser ce qu'il assimile à un homicide (voir encadré).
Évolutions législatives
Le recensement annuel du nombre d'IVG par le ministère de la Santé donne une idée de son accès. Les chiffres pour l'année 2017 seront connus ce vendredi 28 septembre. Ils font état de 216 700 IVG, soit un chiffre stable depuis 2006 (215 000 en 2016, 218 100 en 2015 voir encadré). « Je ne sens pas une diminution du nombre d’avortements réalisés en France chaque année » a déjà commenté Agnès Buzyn.
Plusieurs mesures ont été mises en place dans le cadre du programme national d'amélioration de l'accès à l'IVG, lancé en janvier 2015 par Marisol Touraine, pour faire de cet acte « un droit effectif ». La lutte contre la désinformation s'est organisée autour du site internet ivg.gouv.fr, d'un numéro national d'appel géré par le mouvement français du planning familial (0 800 08 11 11), et de la campagne nationale d'information « mon corps, mon choix, mon droit ». Depuis mars 2017, le délit d'entrave à l'IVG, instauré en 1993 pour lutter contre les « commandos » qui venaient perturber les établissements pratiquant l'avortement ou menacer les personnels, a été étendu à internet.
Pour faciliter l'accès aux soins, l'ensemble des examens complémentaires (biologie médicale, échographies de datation et de contrôle, consultation du recueil du consentement, etc.) est remboursé intégralement depuis le 1er avril 2016 (et non plus seulement l'IVG lui-même), la notion de détresse et l'obligation d'un délai de réflexion d'une semaine ont été supprimées. La loi de santé de Marisol Touraine autorise en outre les sages-femmes à réaliser des IVG médicamenteuses, et les centres de santé à pratiquer des aspirations. La nouvelle feuille de route 2018-2020 de la stratégie nationale de santé sexuelle entend renforcer la confidentialité autour de ces actes.
Stigmatisation et inégalités territoriales
« Le renforcement de l’arsenal juridique et réglementaire ainsi qu’un programme national d’actions ont permis la mise en œuvre, complète ou partielle, de plus des deux tiers des 35 recommandations » qu'il a émises en 2013, a salué le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE) en janvier 2017, à l'occasion des 42 ans de la loi Veil.
Néanmoins, la stigmatisation de l'IVG persiste, assure Véronique Séhier, coprésidente du Planning Familial, sur la base des témoignages reçus via le numéro national. « Les femmes ne savent pas d'emblée si le médecin qu'elles consultent est opposé à l'avortement. Régulièrement, des patientes nous appellent car elles se sont fait balader pendant deux ou trois consultations, en multipliant les examens médicaux », relate-t-elle. Parfois c'est l'accueil qui pèche : « Certaines équipes peuvent culpabiliser, en posant comme première question : "et vous aviez un moyen de contraception ?", ce qui ne met pas en confiance ». La responsable du planning dénonce aussi des clauses de conscience à « géométrie variable » : des médecins qui refusent les avortements entre 10 et 12 semaines, ou les femmes qui en sont à la deuxième ou troisième IVG, les qualifiant de « récidivistes ».
« Il y a encore des accueils déplorables de médecins qui se permettent d'être violents ou maladroits alors que le premier accueil pour une demande d'IVG est capital », corrobore le Dr Gilles Lazimi, médecin généraliste et membre du HCE. « On constate une rigidification de la pensée ; l'idée que tuer un fœtus, c'est tuer un être humain, monte dans certains collèges d'obédience catholiques où j'ai pu intervenir. Le formuler ainsi fait tellement de mal aux jeunes filles… Quand elles disent cela, elles oublient qu'à un moment dans leur vie, elles y auront peut-être recours », déplore le Dr Ghada Hatem, gynécologue fondatrice de la maison des femmes à Saint-Denis.
Fermeture des structures IVG
L'autre obstacle à l'accès à l'IVG est l'offre et l'organisation des soins. « Les maternités sont sur les jantes, et pas seulement pour les IVG. En 15 ans on a supprimé 200 maternités en France, sans répercuter les effectifs sur celles qui ont assumé le surplus de travail. Dans ces conditions, l'IVG passe au second plan », dénonce le Pr Israël Nisand, président du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF), qui devrait publier en février prochain une cartographie des maternités dangereuses.
Selon le HCE, plus de 130 centres IVG ont été fermés entre 2001 et 2011. « Ce sont des centres IVG rattachés à des petites maternités qui ont fermé ; ou qui ont été réintégrés au centre hospitalier plus grand dont les professionnels sont moins enclins à faire des IVG », décrypte Véronique Séhier.
Les départs à la retraite dans les services ou les changements de chefferie dans les déserts médicaux suffisent à déstabiliser l'offre territoriale ou à réduire le choix de la méthode, comme dans la Sarthe. Mais aussi à Fougères, en Île-et-Vilaine, où le nombre d'IVG chirurgicales a été diminué de moitié après un départ à la retraite début 2018 et deux clauses de conscience, ou encore à Aubenas, en Ardèche, cet été, où les IVG instrumentales ont été suspendues pour des problèmes d'effectifs. Et ce ne sont pas les conditions statutaires ni financières des vacataires qui suscitent des vocations ou compensent la faible attractivité de certains territoires, soulignent les médecins, ni la représentation quelque peu dégradée de cette activité. « Ce sont systématiquement les femmes les plus vulnérables, qui ne peuvent pas se déplacer facilement, qui veulent rester discrètes sur leur état, ou les plus jeunes, qui sont pénalisées », souligne Véronique Séhier.
La situation pourrait s'améliorer avec la montée en puissance du rôle des sages-femmes ou des centres de santé. D'autres pistes sont à explorer, selon le HCE, comme l'autorisation des IVG par aspiration dans les centres de planification familiale et d’éducation familiale (CPEF) et dans les maisons pluri-professionnelles de santé ou la suppression de la forfaitisation de l’IVG. Et surtout encore et toujours, le renforcement de la formation initiale et continue des professionnels de santé, sur un sujet où la désinformation a la vie belle.
En chiffres
Il y a eu 216 700 IVG en 2017, et 211 900 en 2016 (chiffre révisé de + 4 174), soit 0,52 avortement par femme, selon la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES).
En 2016, le taux de recours est de 13,9 IVG pour 1 000 femmes âgées de 15 à 49 ans en Métropole et de 25,2 dans les départements et régions d’outre-mer. Les femmes de 20 à 24 ans sont les plus concernées, avec un taux de 26 IVG pour 1 000 femmes.
Selon les régions, ce taux va de 10,3 ‰ en Pays de la Loire à 20,1 ‰ en Provence-Alpes-Côte d'Azur.
En 2016, 16,4 % des IVG ont été réalisées en cabinet libéral, 1,2 % dans les centres de santé ou de planification familiale, le reste à l'hôpital, où 56 % des IVG sont médicamenteuses (jusqu'à 9 SA contre 7 SA en ville), et 44 % chirurgicales. Au total, les IVG médicamenteuses représentent 64 % des IVG.
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