LE QUOTIDIEN : Quel bilan tirez-vous de cette première année de remboursement de la téléconsultation ?
NICOLAS REVEL : Après un démarrage un peu lent, j'ai le sentiment que la téléconsultation a décollé. Nous étions à un peu plus de 7 000 actes facturés à l'assurance-maladie mi-mars, soit six mois après le lancement ; aujourd'hui nous sommes à 60 000 téléconsultations ce qui indique une nette accélération du recours à cette pratique.
Tout de même, on est très loin des objectifs de 500 000 consultations à distance remboursées dès 2019…
Ç’était probablement trop optimiste car nous partions de zéro. Je ne considère pas qu'en dessous de 500 000 téléconsultations annuelles, nous avons échoué, et qu'au-dessus, nous aurions achevé le déploiement de la télémédecine !
Ce déploiement progressif est normal et il va s'accélérer. Il y a un temps d'appropriation de cette pratique par les médecins et par les patients. Je suis confiant : le chiffre auquel nous parviendrons dans les prochaines années sera bien supérieur à 500 000 actes…
Le recours aux consultations à distance est inégalement réparti sur le territoire. Comment améliorer la situation ?
D'abord, certains médecins n'ont pas encore accès partout aux outils techniques et numériques notamment lorsqu'il existe des projets régionaux de plateformes de télémédecine en cours de développement. Ensuite, nous avons besoin que d’autres professions de santé s'engagent dans la démarche. J'ai conclu en ce sens un accord mobilisant les pharmaciens – le texte a été approuvé par l'État en septembre – ainsi qu'un accord avec les infirmiers libéraux qui entrera en vigueur au 1er janvier 2020.
Vous misez sur ces deux professions pour amplifier le mouvement ?
Très clairement ! Si je prends l'exemple des infirmières, je suis convaincu que nous aurons un nombre important de téléconsultations qui correspondent à des situations courantes que connaissent les généralistes. Par exemple, un patient atteint d'une pathologie chronique mais ayant du mal à se déplacer a besoin d'une visite : le médecin s'appuiera sur l'intervention d'une infirmière. Cela répondra à un vrai besoin.
Mais l’avenant 6 signé avec les médecins est-il bien calibré ? Seuls 1 647 médecins libéraux ou structures ont facturé des téléconsultations…
Un peu moins de 2 000 médecins qui pratiquent la téléconsultation au bout d'un an, ce n'est pas un échec ! Ils étaient bien moins nombreux il y a 6 mois. Cet avenant ne pose pas de conditions techniques impossibles. En revanche, c'est vrai qu'il fixe plusieurs règles assumées comme le fait qu'une téléconsultation doive intervenir entre un patient et un médecin se connaissant – sauf quelques exceptions. Nous souhaitons en effet que la téléconsultation puisse se développer dans des conditions qui préservent la qualité de la prise en charge.
Ne faut-il pas déverrouiller un peu le système ? Êtes-vous prêt à supprimer la contrainte d'organisation territoriale de proximité en cas d'absence du médecin traitant ?
Non, il n'est pas question de revoir cette partie de l'avenant qui préserve le principe de territorialité. Dans les exceptions, nous indiquons que, pour répondre à la demande de soins non programmés lorsque le patient n'a pas de médecin traitant ou que celui-ci est indisponible, c'est une organisation territoriale qui prend le relais des téléconsultations. C'est un bon principe, il est cohérent avec la stratégie portée par la ministre sur l’accès aux soins en investissant sur les médecins dans les territoires et pas en recourant à des plateformes commerciales. Le nombre de communautés professionnelles territoriales de santé [CPTS] va monter en charge, nous avons plusieurs centaines de projets. Ces CPTS répondront à la demande de soins à des échelles parfois très larges, à la fois en présentiel mais aussi par de la téléconsultation.
Quelle est la part des téléconsultations remboursées et de celles qui sont rejetées ?
Par définition, je ne connais pas le nombre de téléconsultations que nous ne remboursons pas. S’agissant des rejets, nous en avons mais ils concernaient des situations très particulières, liées à des tentatives de contournement de l'avenant 6, à travers de faux centres de santé virtuels, mais cela reste des cas isolés.
Nous échangeons avec les plateformes qui veulent s'inscrire dans le cadre du remboursement de l'assurance-maladie. Ces entreprises ont compris la logique de l'avenant 6. Si elles veulent s’y intégrer, elles doivent venir en soutien des dispositifs territoriaux et des CPTS plutôt que de chercher à les concurrencer.
Dans une tribune de mai 2019, 118 parlementaires dénonçaient les blocages administratifs entravant la téléconsultation. Entendez-vous cette critique ?
Pour certaines situations ponctuelles, c'est vrai, il faudra adapter l'avenant 6. Ainsi, la règle du patient "déjà vu au cours des 12 derniers mois" peut être un obstacle dans certaines spécialités. En psychiatrie par exemple, avoir un premier contact par téléconsultation n'est pas un problème dès lors que, dans les semaines qui suivent, le patient rencontre physiquement le médecin. Je proposerai bientôt aux syndicats d'introduire dans l'avenant un cadre d'expérimentation qui permettra de tester de nouvelles dérogations mais toujours en veillant à préserver la qualité des prises en charge. C'est un assouplissement qui a du sens s’il reste maîtrisé.
Seriez-vous prêts à revaloriser les tarifs de la téléconsultation ?
Le tarif de la téléconsultation c'est le tarif de la consultation ! Si je revalorise la téléconsultation, je revalorise la consultation. Nous l’avons fait en 2017. Ce n’est pas aujourd’hui à l’ordre du jour.
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