C'est un exercice rarissime mais salutaire : une conseillère santé du président de la République qui dresse publiquement le bilan à mi-mandat de la politique de l'exécutif, en administrant sans fard les bons et les mauvais points, assumant la difficulté de se confronter « au réel » et de surmonter les « forces très technocratiques du quotidien ». C'est le jeu délicat auquel s'est prêtée Marie Fontanel, conseillère solidarités et santé au cabinet d'Emmanuel Macron, ce mercredi au cours d'un café Nile, justifiant cette liberté de parole (et de ton) par le fait qu'elle s'apprête à quitter ses fonctions à l'Élysée.
Le tiers payant, « un sujet qui grattait beaucoup »
Pragmatique, l'énarque et ancienne DG déléguée de l'agence régionale de santé (ARS) Grand-Est a classé les réformes santé engagées depuis 2017 en trois catégories schématiques : celles qui « produisent déjà des effets », les mesures « au milieu du gué » et les sujets « pour lesquels nous sommes loin d'avoir suffisamment saisi les enjeux ». Une façon de reconnaître que beaucoup reste à faire.
Au rang des dossiers qui produisent des résultats et pour lesquels le « pari est en voie d'être tenu », Marie Fontanel cite la vaccination (« on a amélioré le taux de couverture »), la lutte contre le tabac, le service sanitaire pour les étudiants en santé et la réforme du reste à charge zéro en optique, dentaire ou pour les audioprothèses, un « marqueur fort ». Elle place aussi dans ce paquet de réformes abouties la relation apaisée du gouvernement avec les médecins libéraux. « Cette relation était très dégradée en 2017, il a fallu se rapprivoiser, souligne-t-elle en plaçant une pierre dans le jardin de Marisol Touraine. On avait un sujet qui grattait beaucoup, l'obligation de tiers payant. On a levé cette obligation, la généralisation devant rester l'objectif. Cela a beaucoup compté pour restaurer la confiance avec les libéraux. »
Pas de baguette magique
Deuxième champ : les réformes « au milieu du gué ». Elle place ici la stratégie Ma santé 2022, les dossiers relatifs aux « troubles du neurodéveloppement et des troubles psychiques » (autisme, feuille de route santé mentale) et ceux relatifs au grand âge et à l'autonomie.
Sur le premier volet (la loi de santé), un des objectifs était de « gagner du temps médical ». D'où cette série de mesures emblématiques : suppression du numerus clausus, création de postes d'assistants médicaux, déploiement des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) avec « obligations de service à rendre à la population ». « Il y a eu deux négociations conventionnelles avec la CNAM qui n'a pas chômé (sur les CPTS et les assistants) mais on est dans le défi de l'exécution », a-t-elle nuancé. Sans cacher son impatience. « Cela ne se fait jamais aussi vite qu'on le voudrait ». Finalement, diagnostique-t-elle, « on ne se trompe pas de chemin mais la situation est tellement grave sur l'accès aux soins comme sur l'hôpital qu'il faudrait aller plus vite. C'est difficile, on n’a pas de baguette magique. » À cet égard, le mouvement des gilets jaunes qui a hissé la santé au premier plan mais aussi le « cri légitime » de l'hôpital ont été deux rappels à l'ordre « sévères » pour accélérer.
Au milieu du gué encore, Marie Fontanel cite la stratégie sur l'autisme. L'objectif est de ramener davantage de vérité scientifique et un dépistage le plus précoce possible. Mais « on est loin du compte ». Même « impulsion » sur la santé mentale, avec la volonté de structurer la première ligne ou des mesures qui commencent à être « très probantes sur la prévention du suicide ». Mais, note-t-elle, « on pourrait faire plus ».
Sur la dépendance enfin, « impensé de la campagne Macron », « nous avons été rattrapés par la patrouille », notamment avec la crise des EHPAD fin 2018. D'où l'impulsion d'une feuille de route temporaire, puis le lancement de travaux structurels (rapport Libault sur l'autonomie, rapport El Khomri sur les métiers du service à domicile). « Le sujet est pris en main (...) On est quand même en recherche de quelques milliards », a-t-elle glissé.
Penser « out of the box »
La conseillère santé d'Emmanuel Macron, retient enfin trois sujets où « nous ne sommes pas encore au bon niveau d'ambition », notamment car il faudrait raisonner autrement, « out of the box » dans le vocabulaire macronien. Il s'agit à ses yeux de la recherche médicale/innovation, de la santé environnementale et de la question du bien-être.
Sur l'innovation, des briques ont été posées pour structurer les données de santé (Health data hub) et investir sur l'intelligence artificielle. Mais, confesse-t-elle, « la recherche médicale, la politique du médicament et de l'innovation en santé sont des sujets extrêmement complexes, on a pas la martingale conceptuelle ni financière ». Au sujet des prix des médicaments, « notre système de santé ne peut pas absorber des thérapies à des millions d'euros », illustre-t-elle, souhaitant que « chacun sorte de ses postures historiques ».
Sur les sujets « d'environnement et de santé », elle regrette la méconnaissance des enjeux mais aussi le « jeu de ping-pong » entre le ministère de la Santé et celui de l'environnement. Pourtant, les « catastrophes » régulières (affaire de l'incendie de Lubrizol à Rouen, plomb de Notre-Dame, pollution à l'arsenic…) rappellent que les politiques de santé publique de prévention sont un « enjeu majeur ». Au passage, en matière de communication, elle déplore l'absence d'une voix unique qui puisse porter devant le grand public une parole « scientifique très robuste, ce qui nous a manqué à Lubrizol ».
Plus original enfin, elle juge qu'il manque, pour tenir la promesse Macron d'une « révolution » de la prévention, une stratégie forte sur le « bien-être », au sens de la définition holistique de la santé par l'OMS. « Comment répond-on au besoin des Français d'aller bien ? », s'interroge la « madame santé » du chef de l'État. « Vous avez tous été tentés d'aller voir des naturopathes, kinésiologistes, professions non réglementées… Il faut entendre cette recherche d'aller bien. On peut balayer ça d'un revers de demain, dire que c'est du domaine privé, j'ai tendance à penser que cela relève d'un besoin qui n'est pas satisfait. »
Et de souhaiter, là encore, faire différemment. « On rembourse du médicament mais on ne sait pas rembourser de l'activité physique dont les effets sur la santé sont étayés », a-t-elle résumé. Et de conclure sur l'homéopathie, sujet de controverse médicale et politique. La décision de déremboursement « devait être prise et on l'assume pleinement » mais, sur ce point, « nous n'avons pas apporté de réponse à la demande des citoyens qui ont envie qu'on leur fasse du bien… ».
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