GUY DARCOURT, professeur émérite de psychiatrie (Université de Nice Sophia-Antipolis), s’interroge dans la dernière publication du Haut Conseil de la santé publique*, sur la possibilité, pour les professionnels de santé, d’assurer un égal accès aux soins. Le problème ne se pose pas tant en terme de moyens, mais ici, d’éthique. Comment définir cette égalité brandie comme un impératif de justice sociale ? S’agit-il d’égalité d’accès aux soins par rapport à la demande ou aux besoins ? « La difficulté vient de ce qu’il n’y a pas toujours parallélisme entre le besoin et la demande des patients », remarque le Pr Darcourt.
Dans les deux cas, le principe égalitaire souffre de l’épreuve de la réalité. Il est plus facile, en apparence, de répondre à un objectif d’égalité par rapport aux demandes, qui sont exprimées par les patients. Mais elles ne correspondent pas systématiquement à des besoins. Guy Darcourt cite en exemple les sujets anxieux qui se croient malades du corps, et qu’il faudrait réorienter vers des médecins du psychisme, les « vérificateurs », qui multiplient les bilans, et les « revendiquants » qui font fonctionner le système de santé parce qu’ils y ont droit. Dès lors se posent plusieurs questions dont les réponses ne peuvent être universelles. Quelle est la motivation du soignant qui réalise un soin : son intérêt personnel, la volonté de « fidéliser » son patient, voire d’en tirer un bénéfice ? A-t-il le droit de frustrer un malade ? Dans quelle mesure accéder à toute demande entre-t-il en conflit avec des devoirs d’économie envers la société ?
Le médecin éducateur.
Assurer l’égalité d’accès aux soins dont les citoyens ont besoin présente d’autres enjeux éthiques. Les besoins sont parfois inconnus des personnes qui ne veulent pas savoir, par accès d’optimisme ou par crainte. Ils sont les principaux destinataires des campagnes d’information, de dépistage et de vaccination. Le médecin doit alors s’interroger sur l’attitude qu’il adopte à leur égard, de l’incitation à l’indifférence. D’autres patients qui se soignent mal (pour diverses raisons, dont des tendances inconscientes d’autodestruction) requièrent du médecin un rôle non seulement de prescripteur, mais d’éducateur.
Enfin la pratique du médecin confine à ses limites face aux souffrant qui n’expriment aucune demande malgré d’énormes besoins, et qui vivent souvent dans la précarité. Pire, ces personnes démunies pratiquent souvent une « inversion des demandes », explique Guy Darcourt : « ils parlent de leur santé à des travailleurs sociaux qui ne sont pas en mesure de les prendre en charge et de leurs problèmes sociaux aux médecins qui ne peuvent les résoudre ». Le soignant doit alors trouver un équilibre entre l’indifférence et l’obligation de soins. « Il faut aller vers, sans imposer, (...) coordonner l’action des équipes sociales et celle des institutions de soins, élaborer des méthodes d’accueil, former les soignants à l relation avec ces sujets », développe le psychiatre. Un plaidoyer en faveur d’un décloisonnement des pratiques médicales et sociales.
*Actualité et dossier en santé publique n°77, décembre 2011.
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