Vies de médecin

Michel Bénézech : médecin du crime

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Publié le 04/08/2017
Pr Bénézech

Pr Bénézech
Crédit photo : PATRICE JAYAT

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Crédit photo : PATRICE JAYAT

 

 

« Si j’ai choisi la psychiatrie, c’est sans doute pour ne pas tuer ma mère », répondit un jour, Michel Bénézech à une étudiante médusée qui l’interrogeait sur son choix de carrière.

L’homme tout entier est dans cette réponse : volontiers provocateur et terriblement lucide. À 74 ans, Michel Bénézech n’a rien perdu de sa personnalité originale qu’il a su habilement glisser dans le costume d’un médecin.

Ou plutôt les costumes, car le Pr Michel Bénézech a vécu plusieurs vies en une : légiste, psychiatre, criminologue mondialement reconnu, professeur de droit privé et de médecine légale, expert judiciaire… Travailleur acharné, il a publié plus de 650 articles et une cinquantaine de livres sur la criminologie, la médecine légale, le droit, les maladies mentales mais aussi la littérature, la génétique, le terrorisme… et il demeure rédacteur en chef du « Journal de la médecine légale du vivant ».

Rebelle et bagarreur

Pour Michel Bénézech tout commence à Agen où il naît en 1942, d’un père opticien taiseux et d’une mère dévorante jusqu’à la maltraitance. Issu d’une famille protestante, il est élevé dans le catholicisme de sa mère et rejoint des écoles religieuses. Là, son esprit frondeur, indiscipliné, voire provocateur, et son aversion pour l’injustice lui valent punitions, renvois et bagarres. Ce très bon élève découvre en lui des pulsions de violence, heureusement toujours maîtrisées ; comme ce jour où, injustement puni, il empoigne le frère André du lycée Saint-Genès à Bordeaux : « Un instant j’ai eu l’idée de le jeter par la fenêtre », avoue-t-il. Peut-on rêver meilleur début et meilleure expérience pour un grand criminologue ?

À la fac, il enfermera sa prof d’anapath dans un cagibi : « Elle était toujours en retard et nous terrorisait », se souvient celui que ses congénères appelaient « l’anarchiste ».

Sa vocation médicale ? « Moi, je voulais être un saint, un ermite, un stylite… », explique-t-il. Ma mère qui était une hypocondriaque pathologique m’a dit : « Tu seras médecin. » Je n’ai rien répondu et me suis inscrit en Médecine. C’était une femme exceptionnellement belle, intelligente, cultivée, mais très rigide, une mère persécutrice, terrorisante, contre qui j’ai développé une vive hostilité. Je portais ses espoirs. Il y avait là quelque chose de névrotique. J’ai mis beaucoup de temps à lui pardonner. »

Criminel par procuration

En parallèle, il s’inscrit aussi en psychologie, en droit privé et en anthropologie. Étudiant studieux, doté d’une puissance de travail phénoménale, il se passionne pour la médecine légale : « La mort et la maladie, sont les seules choses importantes de la vie. Le crime est une dimension tragique de l’homme. J’ai peut-être suivi cette voie pour maîtriser mes pulsions matricides… M’intéresser aux criminels, c’est peut-être devenir l’un d’eux par procuration. »

Diplômé en médecine légale, en médecine du travail, puis en psychiatrie, il décroche en 1973 un doctorat en droit et sciences criminelles. Il enseigne à l’École Nationale de la Magistrature, à la Faculté de Droit, devient médecin-chef du service médico-psychologique régional des prisons. Il sera aussi expert près la cour d'appel de Bordeaux et demeure, aujourd’hui encore, consultant auprès de l’unité des sciences du comportement de la gendarmerie nationale, pour les crimes violents.

Une vie trépidante, enchaînant activités cliniques, enseignement, expertises, mais durant laquelle il n’adoucit pas son caractère : « Pour moi, la morale, la justice, la conscience sont supérieures au droit. Cela m’a valu quelques déboires. Je suis un spécialiste des démissions. »

Politiquement incorrect

En 1985, il effectue le premier dépistage du sida en prison qui lui vaut les foudres d’une administration qui attendra 1988 pour mettre fin aux collectes. Il relate cette expérience et quelques autres insoumissions dans une publication* justement intitulée « Le politiquement incorrect en psychiatrie ».

Écorché vif, comme ces criminels dont il fait son quotidien, il bâtit un protocole d’analyse des scènes de crimes qui fait autorité dans le monde entier. Il travaille pendant 20 ans dans l’unité des malades difficiles de Cadillac en Gironde (malades mentaux dangereux). Aucun crime ne l’étonne plus : « Sauf peut-être un cas que l’on m’a proposé récemment, signale-t-il avec gourmandise. Un homme qui a tué sa mère et tenté d’en cuisiner des parties. C’est extrêmement rare, même pour moi qui ai beaucoup travaillé sur les cannibales ; je vais peut-être aller le voir. » Bref, une vie passée à aider la justice, évaluer les criminels, les soigner, les dépister, les pister…

Ce grand intellectuel est aussi un homme d’action : « Je ne me sens jamais aussi bien que dans les coups durs… En pleine bagarre, j’arrivais toujours à planter ma seringue dans le bras du patient », se souvient-il. Formé au karaté, il a même récemment maîtrisé un cambrioleur qui s'était introduit dans son appartement.

Un véritable original

Jadis passionné de moto et de vitesse (à 18 ans, il franchissait les feux rouges les yeux fermés) cet hyperactif se reconnaît dans l’ironie de Françoise Sagan : « La vie est une mauvaise plaisanterie, indique-t-il. La recommencer ? Non ! Une vie ça suffit. Je l’ai trouvée très éprouvante, mais pas trop négative ; j’ai le sentiment de laisser un petit quelque chose. J’ai souffert de ma famille, mais pas de mon métier où j’ai vu des choses extraordinaires. Je suis un enfant qui a surcompensé ses blessures. Mais en fin de compte, j’ai fait tout ce que voulait ma mère : être un médecin reconnu. Moi qui rêvais d’être un saint, je me retrouve à 74 ans, athée, désespéré par la violence du monde et sans enfant ; je n’en ai jamais voulu, car en les faisant naître, on les condamne à mourir. Mais ce qui me résume le mieux, c’est le mot « original ». Je suis un véritable original parce que je me fiche de l’opinion des autres ! »

 

* « Le politiquement incorrect en psychiatrie : l’expérience d’une vie professionnelle », annales medico-psychologiques 172 (2014) 67-70

Article initialement publié le 23 janvier 2017

 

 

Patrice Jayat

Source : lequotidiendumedecin.fr
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