Sous le regard attentif d’un ingénieur des Arts et Métiers, la presse métallique appuie de plus en plus fort sur la tête fémorale. L’os se tasse, le col commence à se fendiller puis une franche fracture apparaît. Le fémur, virtuel, qui a été réduit en miette sous nos yeux a été modélisé à partir de données radiographiques de patients remoulinées par l’institut de Biomécanique humain Georges Charpak, qui s’est fait une spécialité de simuler les structures ostéoarticulaires.
« On essaye de produire des modèles virtuels macroscopiques à partir des données d’imagerie de très haute résolution », explique la directrice de l’Institut, le Pr Wafa Skalli. À terme, ce genre d’outil pourrait, par exemple, guider la mise au point et la pose d’implants vertébraux, y compris chez des patients âgés souffrant de grandes déformations rachidiennes.
Une histoire de plus de 30 ans
Inauguré fin 2013, l’institut de biomécanique humaine fait suite au Laboratoire de Biomécanique (LBM) de l’école nationale des arts et métiers (ENSAM) crée en 1979. Il occupe 2 000 m2 d’un ancien entrepôt de briques rouges et de structures métalliques classées au sein de l’ENSAM. « Raymond Roy Camille et François Lavaste, le premier directeur du LBM, sont les deux pionniers de la biomécanique à l’origine de l’alliance entre ingénieurs et médecins », explique le Pr Skalli.
À ces deux noms, il faut ajouter celui du Pr Yves Cotrel, inventeur d’une méthode chirurgicale de correction des déviations scoliotiques. C’est en effet la fondation Yves Cotrel qui finance une partie les travaux de l’institut sur le sujet plus particulier de la scoliose, depuis que les chercheurs qui le composent ont été, en 2001, les premiers lauréats de la fondation.
De multiples projets de recherche sont menés dans ces lieux, depuis l’évaluation d’équipements sportifs jusqu’à la mise au point de mannequins de crash test entièrement virtuels pour l’industrie automobile, en passant par le développement de méthodes d’anaalyse expérimentales pour l’essais de nouveaux implants.
Prédire l’évolution à partir de deux clichés
Mais le sujet le plus brûlant reste la mise au point d’un modèle de simulation des mesures de correction de la scoliose. Actuellement, la simple constatation d’une déformation scoliotique chez l’enfant ou l’adolescent ne justifie pas la mise en place de mesures correctrices car il n’existe pas de moyen fiable d’en prévoir l’évolution sans attendre que la poussée pubertaire n’aggrave la scoliose et pousse à initier un traitement chirurgical.
Mais comment faire ? Procéder à des coupes scanner régulières ? Pas question d’irradier les enfants à répétition ! Il faut se débrouiller avec une seule paire de radios. La solution a consisté à relier les travaux du Nobel de physique Georges Charpak sur la chambre proportionnelle multifils avec les nouvelles techniques de reconstitution du squelette, pour parvenir à une reconstitution tridimensionnelle du squelette à partir de deux clichés perpendiculaires (coupe frontale et sagittale) et en simultanée.
C’est ainsi qu’est né le système EOS, grâce au travail conjoint du LBM et de la société EOS imaging, et dont l’immense sarcophage orange occupe une place centrale dans l’institut. À l’intérieur de la salle d’imagerie, le patient se tient debout sur une plateforme, et subit un balayage d’une vingtaine de secondes, suffisant pour reproduire son squelette et ses défauts de posture. Les membres de l’institut ont ensuite œuvré avec l’entreprise Proteor, spécialisée dans les prothèses orthopédiques et les corsets, pour modéliser l’évolution des scolioses des jeunes patients mais aussi l’effet correcteur des corsets du fabricant.
Une exploration quantitative
« Nous avons déterminé qu’un angle de COBB de 10 degrés et un index de torsion de 5 au niveau de la courbe lombaire constituaient des éléments objectifs pour le clinicien pour faire son diagnostic », poursuit le Pr Skalli. Dans l’article paru cette année dans la revue « Spine Deformity » qui valide leur approche sur 42 patients, les cliniciens et les ingénieurs de l’institut ont pu observé des effets des poussées exercées par des corsets, notamment sur la forme de la cage thoracique. De nouveaux travaux, sur 300 patients, ont débuté pour affiner encore le modèle et dégager des indices prédicteurs de la sévérité de la scoliose. Le fruit de ces recherches devrait déboucher sur la fabrication d’un « corset du futur » d’ici deux ou trois ans.
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