Michel Desmurget, chercheur en neurosciences, INSERM

« Trop de temps passé devant les écrans »

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Publié le 13/02/2020
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Auteur de l’ouvrage « La fabrique du crétin digital », Michel Desmurget pointe les dangers des écrans pour les enfants et adolescents, qui y consacrent en moyenne 4 heures 30 par jour.

Crédit photo : DR

Le Quotidien du Médecin. Quelles sont les estimations sur les temps d’exposition des plus jeunes aux écrans ?

Michel Desmurget. Dès l’âge de trois ans, les enfants passent en moyenne près de trois heures/jour devant les écrans, les adolescents plus de 6 h 30, pour ne parler que des usages récréatifs qui concentrent l'écrasante majorité des consommations numériques de nos progénitures (films, séries, jeux vidéo, commérages sociaux, etc.). Si l’on prend une moyenne de 4 h 30 passées par jour devant les écrans entre la naissance et l’âge de 17 ans, on arrive à un chiffre cumulé de cinq années de temps d’éveil passé face à un écran. C’est absolument énorme, avec des impacts délétères sur le langage ou la concentration, en raison, notamment, du temps volé à des activités essentielles comme les relations intra-familiales, la lecture, les devoirs scolaires ou le sommeil.

Quel est l’impact de cette surexposition ? Que montrent les études ?

Cela fait une cinquantaine d’années que les données s’accumulent. Avec initialement des travaux sur l’impact de la télévision, axés plutôt sur les effets des contenus violents, puis dès les années 1990 sur les conséquences des jeux vidéos et désormais sur celles des outils dits mobiles que sont les smartphones et les tablettes. L’un des premiers effets néfastes du temps excessif devant les écrans concerne le sommeil, réduit par un triple phénomène : le temps passé, le retard de sécrétion de la mélatonine secondaire à l’exposition à la lumière et l’exposition à des contenus angoissants et/ou violents. Aujourd’hui, entre 70 et 90 % des adolescents sont en dette chronique de sommeil. La qualité du sommeil est également perturbée, avec notamment une réduction du sommeil profond, qui se traduit par une moindre capacité de mémorisation. Des études ont montré qu'une leçon apprise était moins bien retenue si l’enfant ou l’adolescent jouait ensuite à un jeu vidéo d'action ou regardait un film stressant. Notre cerveau est «ancien», il n’est pas formaté pour le monde numérique. Pour se construire au mieux, il a besoin de tempérance sensorielle (l'afflux constant d'images et de sons perturbe son développement), d’humain, de sommeil, d’activité physique. Or, une autre conséquence négative majeure de l’excès de temps passé devant les écrans, est l’augmentation de la sédentarité. En 30 ou 40 ans, nos enfants ont d’ailleurs perdu un quart de leur capacité pulmonaire.

Que peut-on faire aujourd’hui pour limiter ce phénomène ? 

C’est l’affaire de tous. Les professionnels de santé comme les enseignants commencent à prendre conscience du problème et de la nécessité de limiter l'exposition à ces outils. L'idéal est de ne pas exposer les enfants avant six ans. Au-delà, si l’on regarde le critère « réussite scolaire », paramètre le plus global utilisé dans les études, il n’y a pas d’effet négatif tant que le temps passé devant les écrans récréatifs reste inférieur à 30 mn par jour, une heure si l’on veut être souple. C’est aux parents de poser des règles claires et de les expliquer à leurs adolescents : pas plus de X minutes par jour (si besoin on peut installer un minuteur sur le smartphone ou la console), pas dans la chambre, avant de dormir, pendant les repas, etc. Il faut passer un contrat et le respecter. Aucune étude n’a montré de détriment social, émotionnel ou cognitif chez les 6 à 10 % d'enfants qui sont préservés de ces expositions récréatives. Les parents doivent montrer l’exemple, en n’étant pas eux-mêmes des surconsommateurs. A plus large échelle, il faut également réfléchir aux messages de prévention qui sont délivrés. Le « pas d’écran avant trois ans » est assez bien passé, mais il est finalement réducteur et peut laisser penser qu’après trois ans, il n’y aurait plus de problème.

Entretien avec Michel Desmurget, Institut des sciences cognitives Marc Jeannerod, « Contrôle neuronal et cognitif de l’action », universités de Lyon.

Dr Isabelle Hoppenot

Source : Le Quotidien du médecin