À Sainte-Anne, une consultation passerelle entre le dedans et le dehors

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Publié le 22/03/2018
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SAINTE ANNE

SAINTE ANNE
Crédit photo : PHANIE

« Sans eux, je ne serais pas là. Ils m'ont redonné le goût de vivre, alors que je traversais l'enfer. Eux, je les appelle les "Anges" ».

Sous la casquette, le visage ample de Moussa* pétille, comme surpris de sa métamorphose. C'est à Fleury-Mérogis qu'il a entendu parler de la consultation extra-carcérale de Sainte-Anne. « Je me suis renseigné et suis venu spontanément. J'en avais besoin ». Cela fait six mois qu'il se rend régulièrement dans le service installé au-dessus des urgences psy de Sainte-Anne. Fléché « SMPR » pour ne pas stigmatiser les patients.

Ouverte en 2014, la consultation se veut la plus accueillante possible : hommes, femmes, mineurs, prévenus, condamnés, sortant de prison, proches et familles. Dans les faits, beaucoup sont sous obligation ou injonction de soins et viennent sur les conseils de leur conseiller pénitentiaire d'insertion et de probation (CPIP). Certains se contentent de récupérer le bon de passage. Mais l'obligation pénale permet aussi d'« accrocher les soins ».

« Sortir de prison est anxiogène. Il y a un désarroi à être libre. La prison dégrade l'état de santé des personnes. Il se détériore à nouveau lorsqu'elles sortent : elles n'ont parfois plus de toit, rien à manger, pas de famille », décrit le Dr Cyrille Canetti, 20 ans de psychiatrie en prison, qui a pensé cette consultation comme un lieu repère permettant d'assurer la continuité des soins et de faire le pont vers le système classique.

L'équipe soignante connaît intimement la détention : « La promiscuité, les problèmes avec les surveillants, le manque de sommeil, les racontars qui peuvent courir sur les conjoints, l'isolement… On saisit ce que les sortants ont vécu, et comment », explicite Sabine Alexandre, infirmière ayant exercé 18 ans derrière les barreaux.

Autre valeur que défend l'équipe : le soin de la personne en toute indépendance à l'égard de la justice. Qu'on ne leur parle pas de prévention de la récidive : « On soigne la personne. Pas la société ».

Troubles psys sur fond de précarité

Chaque patient est reçu par l'une des deux infirmières lors d'un premier entretien qui cherche à cerner les problèmes psys sous-jacents. Les risques suicidaires sont évalués. Il n'est pas rare qu'un patient soit réorienté aux urgences.

Le patient est revu lors d'un second entretien par l'infirmière et le psychiatre, puis un plan de soins lui est proposé.

La majorité des personnes présentent des troubles psychologiques ou des troubles de la personnalité. Elles peinent à retrouver leur place de père et d'époux. L'incompréhension est réciproque : « ils ont le sentiment que la famille ne comprend pas ce qu'ils ont vécu. Mais ils ne comprennent pas non plus le vécu de la famille », poursuit Sabine Alexandre.

Pour les patients présentant des troubles psychiatriques, le défi consiste à les orienter vers les soins de secteur (pas question d'être une filière ségrégative). À leur faire accepter l'idée de la maladie. La consultation travaille en collaboration étroite avec les CSAPA pour les problèmes d'addiction, les centres médico-psychologiques, les permanences d'accès aux soins de santé (PASS) pour les troubles somatiques.

Moussa a été opéré, le mois dernier. Il a aussi pu dire au psychiatre ce qu'il avait tu en prison : les traumatismes de l'exil, les deux ans de route avec son enfant, la déception affective à l'arrivée, la dépression. Il avait vu les médecins de la prison. « Pour calmer et dormir ». Pas le temps d'aller plus loin. « Les psys font ce qu'ils peuvent mais il y a tellement de détenus… », lâche-t-il.

(Ré) apprendre la vie en société

L'assistante sociale aide les anciens détenus à mettre à jour leurs droits, demander un titre de séjour, ou trouver un hébergement. Ce fut le cas pour Philippe, la quarantaine cabossée, qui après plus de 10 ans de prison, s'est retrouvé sept mois dans la rue. Sa famille lui tourne le dos. « L'équipe m'a donné un duvet, et à manger le midi. On a mis deux mois à remettre en route les droits sociaux, puis ils m'ont trouvé un appartement, dit-il. Je redeviens fréquentable ». Les contacts avec sa famille reprennent.

Encore aujourd'hui, Philippe vient prendre son traitement à la consultation ; en l'attente d'un travail, cela rythme sa vie. Il apprend à en être l'acteur, épaulé par l'ergothérapeute Laure Bétard, qui l'a même accompagné dans les magasins pour aménager son intérieur. « En prison, on est passif, on ne décide de rien. Certains ne savent plus se servir d'un micro-ondes, d'une machine à café… », constate-t-elle. Les ateliers collectifs aident les patients à retrouver une autonomie et des centres d'intérêt. « Je réapprends à mener un projet, du début à la fin », sourit Moussa.

Moussa et Philippe font partie des 332 personnes suivies en 2017, au cours de 1600 passages. Un tiers des personnes a été vu plus de 5 fois. L'équipe s'attend, avec la réouverture de la Santé, à un afflux de patients, et espère-t-elle, des proches qui en éprouveraient le besoin.

*les prénoms des patients ont été changés.

Coline Garré

Source : Le Quotidien du médecin: 9650