Les généralistes sont de plus en plus nombreux à utiliser Twitter dans le cadre de leur exercice. lls seraient plus de 2 000 à recourir aux messages de 280 caractères pour échanger avec des confrères sur des cas médicaux et affiner leur diagnostic. Cet usage peut être à double tranchant. Une récente thèse s’est intéressée aux avantages et inconvénients du réseau social pour le médecin de famille. Le Généraliste en dévoile les résultats en exclusivité.
Comment échanger sur le cas d’un patient en moins de 280 caractères ? L’exercice peut paraître délicat, mais de plus en plus de généralistes ont recours à Twitter dans le cadre professionnel. Connectés au réseau social, ils partagent leurs interrogations sur le cas complexe d’un patient, s’envoient des photos et se questionnent autour des démarches administratives du cabinet. Certains omnipraticiens se sont même créé une petite notoriété sur la Toile. Les Drs Christian Lehmann et Jean-Jacques Fraslin sont par exemple très actifs, avec des communautés autour de 8 000 abonnés. Des figures syndicales et institutionnelles se sont également emparées de cet outil pour communiquer. Avec plus de 57 000 followers, le Pr Agnès Buzyn l’utilise pour présenter les grands axes de sa politique.
Une étude IPSOS de 2016 a estimé à 2 300 le nombre de généralistes disposant d’un compte à usage professionnel sur Twitter. Le Dr Clotilde Mathieu a interrogé 10 % d’entre eux, soit 233 généralistes, grâce à un questionnaire en ligne.
FMC 2.0
En cas de doute sur un diagnostic, certains généralistes n’hésitent plus à dégainer leur smartphone en consultation et à poster une question (voire une photo) sur Twitter dans la foulée. Ils publient sur des hashtags dédiés, les deux plus répandus étant #Docstoctoc et #Doctoctoc. Ainsi, d’après les résultats obtenus par la généraliste, 60 % des médecins interrogés estiment que Twitter est un bon moyen pour échanger sur le cas d’un patient. Les médecins partagent également de nombreuses recos ou articles scientifiques, ce qui enrichit d’autant plus les discussions. Près de neuf généralistes sur dix considèrent même que ces interactions entre confrères et consœurs constituent une nouvelle forme de formation continue (FMC). « Twitter présente l’avantage d’un accès facile, rapide et permanent à une littérature abondante et à des recommandations de bonne pratique actualisées en temps réel », précise la thèse.
Les jeunes médecins considèrent davantage les bénéfices de Twitter pour la FMC que leurs aînés. Les 24-29 ans sont 96 % à reconnaître son utilité contre 73 % chez les 50-69 ans. Les dialogues intergénérationnels sur le réseau sont également plébiscités par 67 % des généralistes. Les échanges de pratiques sur Twitter s’apparentent ainsi à des groupes de pairs virtuels. Le Dr Mathieu évoque « un échange en direct, avec une communauté de confrères actifs et souvent bienveillants » qui permet « d’obtenir des réponses et d’apprendre de nouvelles pratiques ».
Un anti burn-out ?

Twitter est aussi un moyen de rompre avec l’isolement et de bénéficier d’un soutien psychologique. Huit généralistes sur dix l’affirment. « Certains décrivent Twitter comme un exutoire nécessaire après certaines consultations ou situations. Les échanges avec la communauté permettraient d’extérioriser le trop-plein auprès d’une oreille attentive et partageant les mêmes expériences. Certains médecins interviewés évoquent même le caractère préventif du burn-out médical de ces échanges entre pairs », témoigne l’auteur.
Cette entraide confraternelle apparaît aussi utile à la campagne qu’en ville, selon la thèse. Toutefois, 56 % des généralistes exerçant dans une zone rurale considèrent que Twitter leur permet d’élargir leur réseau professionnel, contre 41 % chez les urbains. Ce déséquilibre peut s’expliquer par une plus grande facilité à se construire un réseau en ville alors qu’à la campagne la désertification s’installe.
Violence en ligne
Twitter apparaît comme une petite révolution pour rapprocher les généralistes, mais son utilisation comporte son lot de déconvenues. Car la communauté des médecins de famille sait y donner de la voix. La polémique anti homéopathie via le hashtag #FakeMed en 2018 est un exemple parlant. Le risque de violence en ligne est ce qui inquiète le plus les généralistes ayant répondu au questionnaire (71 %). Le phénomène des “trolls” (personnes qui créent volontairement des polémiques) est fréquent et les médecins vont parfois jusqu’à quitter le réseau social s’ils en sont victimes. Le généraliste romancier et twitto aguerri Baptiste Beaulieu (pseudo) a par exemple été victime en 2016 de menaces de mort suite à un post où il dénonçait l’homophobie. Il avait momentanément quitté le réseau. Le Dr Michel Cymes a vécu la même déconvenue. En mai dernier, l’animateur aux 237 000 abonnés a décidé de quitter le réseau social, devenu selon lui un « déversoir à haine ». « Ce phénomène constitue le revers de la médaille de la liberté qu’offre Twitter dans les discussions et les sujets abordés. Il correspond sans doute à un petit nombre de membres, qui savent se rendre visibles par l’agressivité de leurs propos », constate le Dr Mathieu.
Le secret professionnel en question

L’échange de données de santé sur Twitter pose aussi le problème du respect du secret médical pour 47 % des généralistes. Le Dr Clotilde Mathieu précise dans sa thèse que le « caractère dématérialisé des réseaux sociaux donne une fausse impression de confidentialité ». D’après la littérature citée, « le médecin identifié sur Twitter sous un pseudonyme et discutant avec d’autres usagers aussi sous pseudonyme, peut rapidement oublier qu’il parle de patients bien réels ». Pour répondre aux interrogations des utilisateurs sur le sujet, l’Ordre des médecins a publié un livre blanc de la déontologie médicale sur le web en 2012. « Ce document est assez bien fait et rappelle qu’il appartient à la conscience éthique et déontologique de chaque médecin utilisateur d’adopter un comportement adapté et responsable dans leur usage des réseaux sociaux et d’Internet en général », ajoute le Dr Mathieu. Dans ce livre, le Cnom précise par ailleurs que « le code de santé publique et de déontologie médicale prohibe l’usage d’un pseudonyme, sauf dans des contextes distincts du strict exercice professionnel et comme liberté d’expression de tout citoyen ». La thèse du Dr Mathieu montre que le choix de l’anonymat sur Twitter divise les médecins. La moitié estime préférable de choisir un pseudo.
Twitter apparaît donc comme un outil utile pour les généralistes. L’ouverture des échanges au public pose toutefois des questions éthiques. L’auteur de la thèse s’interroge sur l’intérêt d’un média social professionnel qui leur serait spécifique avec un mode d’emploi « pour expliquer aux médecins comment s’en servir et en tirer avantage ». Certaines régions comme les URPS Auvergne-Rhône-Alpes et Nouvelle-Aquitaine se sont déjà lancé ce défi en créant leur propre réseau social sécurisé. Ces initiatives « ne semblent pas fonctionner aussi bien que Twitter, sans doute parce l’ouverture des profils est limitée, ainsi que la richesse des échanges », analyse le Dr Mathieu. Neuf généralistes twittos sur dix plébiscitent en effet le côté « divertissant » de Twitter.
Twitter pour les nuls
Tweet : message de 280 caractères maximum publié sur le réseau.
Retweeter : action de relayer un Tweet.
Twitto(s) : utilisateur(s) de Twitter.
Hashtag (ou mot-dièse) : mot-clé qui permet de catégoriser votre tweet et de faciliter la recherche d’autres tweets sur le même thème. Le # est suivi d’un mot comme #Docstoctoc par exemple.
Follower : personne qui s’est abonnée à votre compte et “suit” vos publications.
Partager : action de poster sur Twitter un article, photo ou média d’un autre site.
Méthodologie : Thèse réalisée à partir de 233 questionnaires de médecins de famille par le Dr Clotilde Mathieu, généraliste au sein de la PMI de Rosny-sous-Bois en Seine-Saint-Denis. Les répondants sont des femmes à 55,8 %, âgés de 24 à 69 ans avec une moyenne d’âge de 37,9 ans. La moitié sont libéraux installés (54,9 %), les autres salariés (28,7 %), remplaçants (9,9 %) ou internes (6,5 %). 49,4 % exercent en zone urbaine, 36,9 % en zone semi-rurale et 13,7 % en zone rurale.