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Dossier

Dr Marie-Paule Kieny, vaccinologue : « Un vaccin seul ne permettra pas un retour rapide à la normale »

Publié le 11/09/2020
Dr Marie-Paule Kieny, vaccinologue : « Un vaccin seul ne permettra pas un retour rapide à la normale »


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Le vaccin contre le SARS-CoV-2 est souvent présenté comme le Graal qui permettrait de sortir de la crise sanitaire de la Covid-19. Mais qu’en est-il exactement ? Le Dr Marie-Paule Kieny, présidente du comité scientifique Vaccins Covid-19 français, est confiante mais invite à ne pas tout miser sur la solution vaccinale.

Beaucoup d’annonces ont été faites cet été, suggérant l’arrivée imminente d’un vaccin contre le SARS-CoV-2. Quand peut-on vraiment espérer en disposer ?

Dr Marie-Paule Kieny : L’OMS a annoncé la semaine dernière ne pas s’attendre à une vaccination généralisée contre la Covid-19 avant mi-2021. Olivier Véran a quant à lui évoqué des pistes sérieuses pour le début de l’année 2021. Je pense que ces échéances sont raisonnables et je pencherais au mieux pour une mise à disposition auprès des publics prioritaires au premier trimestre 2021, avec une vaccination proposée à la population générale au second trimestre. Prenons l’exemple du vaccin de la biotech Moderna, pour lequel deux administrations avec un mois d’intervalle sont nécessaires. Fin août, ils avaient recruté la moitié des 30 000 sujets prévus pour la phase 3. Les 15 000 volontaires restants seront vraisemblablement inclus avant fin septembre. Fin octobre, la totalité de la cohorte aura reçu le vaccin et son rappel. En fonction de l’intensité des infections dans la zone géographique d’étude, il faudra quelques semaines pour observer les 150 infections nécessaires pour évaluer les paramètres d’efficacité. Des résultats pourraient donc émerger au mieux courant novembre. Après présentation à l’agence réglementaire européenne, une autorisation d’utilisation dans le cadre d’une procédure d’urgence pourrait ensuite être accordée, pour autant que l’efficacité soit jugée suffisante.

Le processus scientifique ne doit pas être balayé par des considérations politiques, même si l’anticipation est indispensable. À ce titre, chaque pays a pris les devants avec des contrats de réservation. Au total, au moins 3,1 milliards de doses sont déjà réservées ou acquises.

L’arrivée d’un vaccin mettra-t-elle fin à la menace de Covid-19 ?

Dr M.-P. K : C’est, à mon sens, placer trop d’espoirs dans le vaccin. Ce sera certes un élément supplémentaire important dans la lutte contre le nouveau coronavirus, mais il faudra conserver dans les premiers mois, voire les deux prochaines années, les mesures de distanciation sociale et le port du masque dans les endroits confinés et ce, vraisemblablement jusqu’à ce que le taux de transmission R0 descende, de manière stable, à un niveau bien en deçà de 1. Nous pourrions cependant vivre un peu plus « normalement », sans relâcher pour autant la vigilance. Mais la vie « d’avant » ne reprendra pas dès l’arrivée d’un vaccin, d’une part parce qu’il est illusoire de penser qu’il sera protecteur à 100 %, a fortiori au sein de toutes les tranches d’âge, et d’autre part parce qu’il ne sera pas possible de vacciner toute la population d’emblée. Il n’y aura d’ailleurs pas un seul vaccin mais probablement plusieurs, dont les efficacités seront peut-être différentes vis-à-vis de la maladie, de la transmission virale et de l’âge. Certains vaccins pourraient ainsi être plus appropriés pour certaines populations.

Quelle devrait être l’efficacité minimale d’un vaccin pour être homologué ?

Dr M.-P. K : À ce stade, les données de sécurité et d’immunogénicité chez l’homme et l’animal suggèrent que les vaccins qui sont en phase 3 pourraient être efficaces. Mais à quel degré et pour combien de temps ? Les interrogations restent complètes. Le seuil jugé « acceptable » par l’OMS a été fixé à 50 %. La Food and Drug Administration américaine a prévenu qu’elle autoriserait un vaccin seulement si ce dernier montrait une efficacité également supérieure à 50 %. Cette efficacité est mesurée en fonction des cas de Covid symptomatiques : le nombre de personnes vaccinées par rapport aux personnes non vaccinées qui feront une Covid symptomatique. L’efficacité vis-à-vis de la transmission sera également importante car on souhaite bien évidemment que les personnes vaccinées et protégées contre la maladie (tout en étant potentiellement infectées) ne transmettent pas le virus. Enfin, pour parer au phénomène d’immunosénescence, les candidats vaccins devront faire état d’une efficacité satisfaisante dans la population âgée, particulièrement vulnérable à la Covid-19. À ce jour, certains vaccins ont démontré en phases 1-2 des réponses immunitaires satisfaisantes chez les personnes âgées. Par ailleurs, des rappels seront envisageables, au moyen de vaccins de même nature ou potentiellement différents.

Même avec une efficacité moindre, un vaccin pourrait être utile, notamment en réduisant l’engorgement du système de santé et en évitant potentiellement la mise sous ventilation artificielle de plusieurs millions de personnes. En étant administré aux publics fragiles, un vaccin pourrait limiter la plupart des cas graves.

Les cas de réinfections rapportés récemment sont-ils de nature à remettre en cause l’efficacité de la vaccination ?

Dr M.-P. K : Des cas de réinfections ont effectivement été notifiés, mais on ne connaît pas leur fréquence. Par ailleurs, ce n’est pas parce que l’immunité acquise suite à la maladie serait de courte durée que celle induite par la vaccination le sera également. En effet, la présentation des antigènes viraux de la protéine Spike est totalement différente entre les vaccins et l’infection naturelle, puisque la plupart des vaccins mettent en jeu des technologies basées sur les acides nucléiques, des virus non-pathogènes « navettes » ou des adjuvants.

Qui sera vacciné en priorité ?

Dr M.-P. K : Cela dépendra d’une part de la situation épidémique (forte circulation virale au niveau national ou sur certains territoires, circulation virale à bas bruit, absence d’indicateur de circulation virale) et d’autre part de l’efficacité du vaccin. Cependant, quels que soient les scénarios envisagés, la HAS considère que les professionnels de santé et du médico-social de première ligne constitueront les cibles prioritaires incontournables de la vaccination répondant aux objectifs de prévention individuelle, collective et de maintien des activités essentielles du pays en période épidémique. Les personnes à risque de formes graves (âgées de plus de 65 ans ou présentant une comorbidité) seront également prioritaires. L’OMS a prévu une vaccination en trois vagues, la première correspondant à environ 3 % de la population avec les travailleurs de première ligne, dont les soignants hospitaliers et de ville. La seconde (20 % de la population) correspondrait aux personnes vulnérables et âgées. La troisième concernerait le reste de la population. Cela correspond globalement aux recommandations françaises.

Selon une enquête récente, seuls 59 % des Français seraient prêts à se faire vacciner. Le recours à l’obligation vaccinale est-il envisagé ?

Dr M.-P. K : Cela n’est ni souhaitable ni envisageable. Si une seconde vague de Covid-19 arrive, sévère, et si les mesures pour limiter l’impact humain, économique et social s’avèrent très contraignantes, les individus se porteront davantage volontaires pour se faire vacciner. On peut espérer que la confiance grandira au fur et à mesure que le nombre de personnes vaccinées augmentera. Il faudra faire preuve de beaucoup de pédagogie. En revanche, si la seconde vague est limitée et que le port du masque devient la nouvelle norme, la vaccination sera peut-être plus limitée.

Les généralistes feront-ils partie du dispositif de vaccination ?

Dr M.-P. K : Vraisemblablement. On voudra utiliser les structures en place, qui ont fait preuve de leur efficacité, plutôt qu’avoir recours à l’armée comme pendant la pandémie de grippe H1N1.

Propos recueillis par Hélène Joubert