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Dossier

Relation médecin-patient

Fake news : démêler le vrai du faux en consultation

Par Camille Roux - Publié le 25/10/2019
Fake news : démêler le vrai du faux en consultation

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Sebra - Monster Ztudio - stock.adobe.com

Internet et les réseaux sociaux ont révolutionné la relation médecin-patient. Dans le bon sens, puisque les malades sont désormais acteurs de leur santé. Mais aussi dans le mauvais. Les « fake news » en santé inondent la toile et se retrouvent bien souvent dans les cabinets de médecine générale, polluant parfois le colloque singulier.

Sur Internet, dans les magazines, à la télévision... les “fake news” sont partout. Le phénomène des fausses informations n’a pas épargné la médecine et les « fake sciences » se retrouvent parmi les plus diffusées. Le mouvement « antivax », relancé lorsqu’Agnès Buzyn a étendu l’obligation vaccinale infantile, en est l’exemple le plus significatif. Selon un sondage sur le complotisme réalisé par l’Ifop en février dernier, 43 % des sondés pensaient que « le ministère de la Santé est de mèche avec l’industrie pharmaceutique pour cacher au grand public la réalité sur la nocivité des vaccins ». Internet et les réseaux sociaux ont ainsi fait office de véritable tribune pour les sceptiques des vaccins.

Récemment, le député LREM et neurologue Olivier Véran dénonçait sur son compte Twitter les propos tenus dans une revue distribuée gratuitement dans les magasins Bio, évoquant des « risques immédiats pour tous les nouveaux nés » liés aux vaccins. Les médecines alternatives et les fausses informations que ses adeptes peuvent diffuser ont également beaucoup été pointées du doigt par la communauté scientifique récemment. Le débat sur le déremboursement de l’homéopathie, qui a animé l’actualité cette année, en est l’exemple. Certains médecins alertent sur ces pratiques, allant jusqu’à les qualifier de « fake medecines ». 

Sur les réseaux sociaux, des influenceurs sont même parfois assez maladroits pour diffuser des conseils santé sans vérifier leur bien fondé. Le mois dernier, Caroline Receveur, une des influenceuses en mode les plus suivies sur Instagram (4 millions d’abonnés) soutenait auprès de ses fans qu’une mammographie était souhaitable pour toutes les femmes dès l’âge de 30 ans. Ce qui va à l'encontre des recommandations de la HAS, laquelle préconise un dépistage du cancer du sein de 50 à 74 ans. Face à ces dérives, Facebook s'est récemment positionné en matière de lutte contre les “fake news” en s'engageant auprès de ses utilisateurs à « minimiser les contenus santé sensationnalistes ou fallacieux » qui circulent, avec une vigilance particulière « autour de la nutrition, l'activité physique ou encore les problématiques de santé ». Instagram, qui appartient au groupe Facebook, a pour sa part décidé de censurer les hashtags anti-vaccins comme #vaccinecauseautism ou encore #vaccinesarepoison. Mais les moyens de réguler la diffusion des “fake news” santé sur le web sont pour l’instant bien en dessous des enjeux de santé publique de ce phénomène. Une loi contre la manipulation de l'information a bien été adoptée par le Parlement fin 2018 mais celle-ci se cantonne à encadrer le bon déroulement des scrutins électoraux. Elle vise à s'assurer que le cours normal du processus électoral n'est pas modifié par des « campagnes massives de diffusion de fausses informations ». Cette absence de réglementation n’est pas sans conséquences sur la relation médecin-patient dans les cabinets médicaux. De plus en plus, le malade arrive en consultation avec des idées reçues, des croyances ou des convictions parfois difficiles à déconstruire.

Rumeurs et allégations dans les cabinets

Inondés d’informations en tous genres, les patients peinent parfois à démêler le faux du vrai. Une récente vidéo de l’Inserm sur les “fake news” (voir encadré) expliquait que le cerveau humain peut même jouer en notre défaveur. « Notre cerveau, souvent, nous joue des tours. Il nous pousse à sélectionner des infos qui confirment nos croyances et à soigneusement éviter celles qui nous contredisent. C'est ce qu'on appelle le biais de confirmation. » D’où l’intérêt pour le patient d’avoir accès à des informations fiables, notamment de la part de son médecin. Une thèse de médecine générale du Dr Antoine Dodane, soutenue en 2017 à Saint-Etienne, intitulée “Rumeurs et allégations en santé au quotidien : enquête sur l’avis et le besoin d’information des patients”, a permis, grâce à un questionnaire réalisé auprès de 279 patients, de déterminer les sujets sur lesquels les personnes souhaiteraient une fiche d’information. Parmi les allégations proposées ayant fait l’objet du plus de demandes (par plus d’un tiers des répondants), on retrouve : « le régime végétarien », « le régime sans gluten », « la consommation de jus d’airelles pour diminuer les maladies rénales », « réchauffer les aliments au micro-ondes augmente les risques de cancer » et enfin « le vaccin contre l’Hépatite B et la sclérose en plaques ». « La nécessité d’une fiche d’information ne dépend pas de l’existence des données de la science. Toutes les allégations de santé n’ont pas d’explication scientifique. Répondre que celles-ci n’ont pas de preuve scientifique est utile », précise l’auteur de la thèse.

Communiquer avec son patient

Le Collège de médecine générale envisagerait d’ailleurs d’intégrer la notion des « fake news » dans un futur référentiel métier du généraliste. « Ce n’est pas le tout d’avoir des références scientifiques sur lesquelles baser sa pratique, il faut aussi avoir des outils pour communiquer avec le patient, pour aider à la bonne décision en fonction de ses idées, de ses convictions… », confie le président du CMG, le Dr Paul Frappé. Selon lui, le médecin de famille peut faire face à deux types de patients : « celui qui est dans le doute et celui qui est dans l’opposition ». Dans tous les cas, le dialogue est la clé, selon le Pr Stéphane Oustric, généraliste et délégué général au numérique du Cnom : « Chacun arrive en consultation avec ses croyances, ses souffrances... Le généraliste se doit de respecter la personne ainsi que sa parole. Il doit amener des éléments d’information validés et vérifiés et doit pouvoir les expliquer sans les asséner », commente-t-il.

Mais concrètement, comment répondre à un patient victime d’une “fake news” et convaincu de détenir la vérité ? À défaut de référentiel existant sur le sujet, le généraliste stéphanois Paul Frappé a défini trois axes de prise en charge qu’il enseigne à ses internes. « Il faut d’abord chercher et présenter au patient une information impartiale. Ensuite, il faut admettre l’incertitude et avouer au patient “je ne peux pas dire à 100 % que”. Enfin, lui rappeler qu’on peut se faire peur avec tout et lui conseiller de ne rien décider sur l’émotion. On se fait une idée rationnelle et après on prend une option. » Peu importe le degré de conviction du patient, le Pr Oustric estime pour sa part qu’il ne faut « jamais abandonner mais expliquer, réexpliquer, et négocier car derrière ces croyances se cachent beaucoup d’angoisses ».

Problématique quotidienne

Preuve que ce phénomène a pris de l’ampleur ces dernières années, déconstruire les idées reçues des patients est le lot du quotidien des généralistes, selon le Dr Céline Berthié, médecin à Cussac-Fort-Médoc (Gironde) et membre du collectif anti “fake med. « C’est tous les jours, assure-t-elle. Il existe une peur des soins conventionnels, ce qui amène les patients à se soigner parfois de manière « douce ». Par opposition, cela sous-entend que nous faisons de la médecine « dure » », analyse-t-elle. Cet éloignement des cabinets conventionnels est à prendre très au sérieux, selon le Dr Paul Frappé : « Un bon médecin a besoin d’être conscient de toute l’offre de soins existante de son territoire afin de pouvoir en parler avec le patient. Cela permet de montrer qu’on n’est pas hermétique », conseille le président du CMG.

Les « fake news » glanées par les patients ici et là peuvent avoir des conséquences dramatiques sur leur santé et celle des autres. La non-vaccination en est une. Le Dr Berthié a aussi observé auprès de ses patients hypertendus un effet nocebo dû aux idées reçues qu'ils pouvaient avoir. « Ils lisent les effets secondaires, se renseignent sur le web… Résultat, ils prennent peur et développent des vertiges, des maux de tête… », témoigne-t-elle. Parfois, un peu de pédagogie suffit à convaincre, parfois ce n’est pas suffisant. Mais selon la porte-parole du collectif « Fake med », les “fake news” les plus dangereuses restent celles propagées par la communauté médicale elle-même. « Beaucoup de patients avancent l’argument du « oui mais c’est un médecin qui me l’a dit ». Tous les praticiens n’ont pas un discours rationnel. Si le corps médical n’est pas ferme et que des médecins laissent libre cours à leurs croyances, alors il y aura toujours des fake news », estime la généraliste girondine.

Le Dr Frappé rappelle lui que la vérité scientifique a elle aussi ses limites. « La science, en médecine, est fondée sur un risque alpha à 5 %, donc on sait qu’il y a une part de fake dans tout ce qu’on dit, au-delà des pratiques déviantes de certains scientifiques », explique-t-il. Mais malheureusement, la part de faux dans les informations santé diffusées actuellement sur la toile et ailleurs semble largement dépasser les 5 %.

Sur Youtube, l'Inserm contre l’intox

Il y a tout juste un an, l'Inserm lançait sur sa chaîne Youtube une série de vidéos intitulée “Canal Detox”. Le but : faire la chasse aux fausses informations. Méfaits des téléphones portables, régimes detox, modifications du génome, médecins remplacés par des robots, autisme… La chaîne ne comptabilise pas moins d'un million de vues au total. « Nous sommes mobilisés de longue date sur les fake news. Les polémiques autour des vaccins ont accélére nos réflexions. En toile de fond, la parole scientifique gagne à reprendre un petit peu de couleur et de volume », explique Carine Delrieu, directrice communication de l'Inserm. Dans un style “punchy” et un format court adapté aux réseaux sociaux, l'Inserm fait donc figure de modèle dans la chasse aux fausses informations médicales. Pour sa saison 2, l'Inserm a sondé ses followers sur les réseaux sociaux (116 000 sur Twitter, 74 000 sur Youtube) afin de répertorier les sujets qu'ils souhaiteraient voir décryptés par les chercheurs. Des vidéos sur le café, les dangers des écrans, l’hypnose médicale, le vaccin contre la grippe ou encore les aliments miracles contre le cancer sont au programme.

 

Dossier réalisé par Camille Roux