De plus en plus de “fake news” en santé circulent sur Internet. Comment l'expliquer ?
Lucie Guimier : Le succès de ce phénomène est dû au fait que, dans notre société depuis quelques années, on observe une rupture des relations de confiance entre d'une part les citoyens et d'autre part les experts et les élites. Le succès des “fake news” en matière de santé sur les réseaux sociaux est aussi la conséquence de plusieurs affaires sanitaires. Je pense notamment, pour les vaccins, au cas de la grippe H1N1 avec l’achat d’un stock démesuré de vaccins par la ministre de la Santé de l’époque (Roselyne Bachelot, NDLR). L’affaire du Mediator a par ailleurs énormément joué.
Pensez-vous que les difficultés d'accès aux soins de certains citoyens puissent expliquer ce type de dérive ?
L.G. : Peut-être est-ce le cas avec certains spécialistes, mais les zones où on ne peut pas voir de médecin généraliste dans la semaine ne sont pas si répandues que ça. Quand j’ai réalisé mon étude sur les vaccins en sud-Ardèche, il y avait une MSP avec plusieurs médecins. Ce n’était pas un désert médical mais il y avait quand même des anti-vaccins. Il serait cependant intéressant d'étudier ce qu'il se passe dans les endroits où les médecins partent et sont remplacés uniquement par de la médecine parallèle, des homéopathes, des naturopathes… Là, il peut y avoir des dérives pour les patients.
Le premier sujet qui vient à l'esprit quand on parle “fake news” en santé est celui des antivax. Comment ce mouvement a-t-il pris autant d'ampleur ?
L.G. : Cela fonctionne par cycles. Il y a toujours eu des anti-vaccins. Il y en a depuis que les vaccins existent et depuis que l’obligation vaccinale a été inscrite dans la première loi de santé publique, en 1902. Historiquement, on retrouve d’ailleurs des médecins parmi les plus fervents opposants à la vaccination. Le mouvement anti-vaccins a repris de l'ampleur lorsqu’Agnès Buzyn a étendu l’obligation vaccinale en 2018. À la différence que le cycle actuel est très dépendant de la démocratisation d’Internet, de l’accès aux réseaux sociaux... L’accès aux informations est décuplé, à la désinformation aussi.
Le phénomène “antivax” va-t-il selon vous s'essouffler ?
L.G. : On ne peut pas prévoir ce qui va se passer. Tout dépend du contexte médiatique et politique. Si demain, une mère de famille explique dans une émission très regardée à la télévision que son enfant est devenu autiste après un vaccin ROR, cela peut relancer le débat. C’est ce qui s’est passé aux États-Unis avec l'actrice Jenny McCarthy passée chez Oprah Winfrey. En France, on pouvait craindre que l’extension de l’obligation vaccinale soit contre-productive. Ce n’est pas le cas quand on regarde les chiffres de la couverture vaccinale qui ont tous augmenté. Cette mesure a eu un effet sur les parents qui n’étaient ni pour ni contre mais restaient à convaincre. En revanche, je pense que cela n’a eu aucun effet sur les anti-vaccins. Lorsque vous l’êtes, plus on va essayer d’argumenter face à vous, plus vous allez vous refermer.
À part les vaccins, quels autres sujets appellent à la vigilance et sont les plus répandus ?
L.G. : Les thérapies liées au jeûne, de nutrition très strictes et plus largement des pratiques alternatives qui vont avoir pour objectif d’isoler la personne, de lui faire changer son comportement. Si vous avez un régime spécifique et trop drastique, cela peut vous conduire à ne plus sortir car cela devient trop contraignant et peut vous isoler de la société. On peut même observer des dérives sectaires liées à ces thérapies.
Quel est le profil de ceux qui propagent ces “fake news” et de ceux qui y croient ?
L.G. : Parmi ceux qui les diffusent, il y a des personnes qui cherchent à faire du profit. D’autres sont de bonne foi, convaincues, mais n’imaginent pas les conséquences. Par exemple, avec le Pr Henri Joyeux, qui est un fervent catholique, on pourrait se dire que ce n’est qu’une histoire de convictions. Mais il y a aussi beaucoup d’argent en jeu (conférences payantes, livres, produits de thérapies alternatives etc.). Du côté des personnes qui adhérent, la palette est très variée. Les personnes les plus crédules sur Internet sont celles qui sont les moins armées pour se défendre, avec un niveau d’études moyen ou qui n’ont pas un sens critique très développé. Mais il peut aussi y avoir un entrisme par les croyances. C’est ce qu’il s’est passé il y a quelques mois à New-York avec une épidémie de rougeole au sein de la communauté juive. Des tracts anti-vaccins ciblaient cette communauté, disant que la vaccination allait à l’encontre de leurs principes religieux.
* Docteure en géographie et auteure d’une thèse sur les enjeux géopolitiques du refus vaccinal
Lucie Guimier, analyste en géopolitique* : « L’accès aux informations est décuplé, à la désinformation aussi »
L’Académie de médecine s’alarme du désengagement des États-Unis en santé
Un patient opéré avant le week-end a un moins bon pronostic
Maladie rénale chronique : des pistes concrètes pour améliorer le dépistage
Covid : les risques de complications sont présents jusqu’à trente mois après hospitalisation