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Dossier

Faute de temps, les soignants négligent leur hygiène de vie

Signaux inquiétants pour la santé des médecins

Publié le 10/12/2018
Signaux inquiétants pour la santé des médecins

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PHANIE

Sur l’état de santé des blouses blanches, c’est peu de dire que les clignotants sont au rouge.

La semaine dernière, une enquête 360 medics/B3TSI estimait que près d’un soignant sur deux – et même 54 % parmi les médecins – avait déjà connu les affres du burn out. L’enquête que « Le Quotidien » révèle aujourd'hui, en partenariat avec d’autres journaux du Groupe Profession santé, l’Institut Odoxa, la MNH et l’Université de Bourgogne-Franche-Comté, n’est pas plus optimiste. Pour la première fois, près de 6 000 professionnels de santé sollicités, entre autres, sur les sites du quotidiendumedecin.fr, du generaliste.fr, du quotidiendupharmacien.fr et d’infirmiers.com ont longuement évoqué leur état de santé et leur hygiène de vie. Et cela ne rassure pas sur l’état de forme des médecins.

Premier enseignement, les praticiens semblent plus souvent malades que leurs patients. Alors qu’un Français sur cinq évoque un « incident de santé » (hors pathologies chroniques) lors des deux derniers mois qui ont précédé l’enquête, un tiers des acteurs de santé est dans ce cas : dans le détail, on compte 30 % de généralistes et 28 % de spécialistes dans cette situation. Maigre consolation : c’est pire dans les métiers non médicaux avec 49 % d’aides-soignantes, 42 % d’infirmières, 34 % de pharmaciens et 33 % de kinés qui se plaignent de leur santé.

La blessure des conditions de travail

« Ces résultats nous alertent sur une situation très inquiétante de professionnels de santé plus souvent malades mais aussi plus insatisfaits de leur travail », relève Gaël Sliman d’Odoxa. Les deux facteurs étant sans doute liés puisque notre enquête révèle que pas moins de 35 % des professionnels du secteur s’affichent « insatisfaits » de leurs conditions de travail. Ce malaise est particulièrement ressenti chez les paramédicaux – une majorité est dans cet état d'esprit — mais le phénomène est prégnant chez les généralistes (42 %) et dans une moindre mesure chez les spécialistes dont un tiers tout de même est mécontent de son sort.

L’enquête Odoxa renvoie l’image de professionnels sous pression, voire surmenés, et fait le point sur plusieurs facteurs de stress – les comportements des patients influant beaucoup sur leur moral. Dans le détail, les spécialistes souffrent particulièrement de l'empiétement du travail (sur leur vie privée, sociale) et les généralistes sont particulièrement affectés par la souffrance des malades (morale, physique).   

Recours aux hypnotiques

Les médecins sont nombreux à subir des problèmes de sommeil. Quelle que soit sa discipline, un sur deux avoue des épisodes d’insomnie (au moins de temps à autre), et un quart quotidiennement. C’est certes moins souvent que les infirmiers mais plus fréquent que chez la moyenne de leurs patients. À preuve, 11 % des spécialistes et 13 % des généralistes avouent un recours aux hypnotiques (6 % des premiers et près de 7 % des seconds avalant tous les jours son somnifère). Là encore, cela paraît plus élevé que dans la population générale, pourtant pas avare de cette consommation.

Les médecins se rattrapent sur quelques données centrales touchant l’hygiène de vie. Sur l’alcool, la profession demeure à peu près dans la moyenne, avec une consommation quotidienne relevée chez 7,6 % des généralistes et 10,8 % des spécialistes, contre une moyenne France entière proche de 10 %. Sur le tabac, l’écart est en revanche colossal, puisque moins d’un praticien sur dix se déclare fumeur régulier, incidence deux fois moindre à celle observée chez les infirmiers et très inférieure à la moyenne des Français (environ 25 %).

Bons points aussi sur l’activité physique, pratiquée peu ou prou par les deux tiers du corps médical, alors que des études estiment qu’un Français sur deux s’adonne à un sport. De ce point de vue, infirmiers et pharmaciens semblent plus plan-plan que les prescripteurs, mais plus actifs que les patients qui vont les voir. 

Ce dernier chapitre est associé à une meilleure santé au travail. « Celles et ceux qui ont une activité sportive perçoivent moins les stresseurs auxquels les soignants sont confrontés », souligne Didier Truchot. Ce spécialiste de psychologie de l'Université Bourgogne-Franche-Comté précise toutefois  : « Attention ! Il ne faudrait pas croire qu’en offrant aux soignants la possibilité de faire une activité sportive, ils seraient en meilleure santé Toutes les études montrent que si le burn out est associé à une mauvaise hygiène de vie, c’est parce que les conditions de travail engendrent du burn out, ce qui amène une mauvaise hygiène de vie. »

Drôle de parcours de santé

Au final, c’est sur la gestion de leur propre santé que les blouses blanches pèchent le plus. Parce qu’ils vivent à toute allure, les professionnels de santé ne s'autorisent pas à souffler. Ainsi, plus de 15 ans après l’obtention du volontariat de la garde en médecine de ville, le travail du week-end demeure, sinon la norme, du moins pas du tout l’exception. Dans la profession, c’est particulièrement le cas chez les spécialistes (65,5 %). Mais les médecins de famille ne sont pas en reste, 57 % d'entre eux pratiquant régulièrement le travail dominical. C’est un peu moins que les pharmaciens et bien moins que les infirmiers.

Un rythme d'autant plus difficile à tenir que beaucoup de soignants ne s’accordent aucun répit. Ils sont légion par exemple à manger sur le pouce le midi. Grosso modo, un tiers des praticiens serait dans ce cas, pour un quart seulement des pharmaciens (mais plus de 40 % des infirmiers).

Le parcours de santé des soignants laisse enfin à désirer. En tout cas pour le corps médical ! Si paramédicaux et pharmaciens ont massivement désigné leur médecin traitant (autour de 90 %), on s’en passe très souvent chez les praticiens. Notre enquête confirme que seuls 44 % des généralistes et 38 % des spécialistes ont fait ce choix !

Quand on est médecin, on s'arrête d'ailleurs peu – en tout cas moins que la moyenne – en cas de maladie : quatre jours par an et par spécialiste, un peu plus de cinq par généraliste alors que l'infirmière (avec 14 jours) est de ce point de vue proche de la moyenne nationale. Ceci expliquant peut-être cela :  les praticiens affichent une couverture antigrippale bien supérieure à la moyenne. Mais toujours insuffisante aux yeux du ministère de la Santé...

Paul Bretagne