La iatrogénie, aux urgences aussi

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Publié le 10/06/2022
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Malgré de nombreuses actions préventives mises en œuvre, la iatrogénie reste un problème de santé publique. Aux urgences, il faut y penser et la prévenir à l’aide de prescriptions personnalisées.
Les conditions d’exercice accroissent le risque d’erreur

Les conditions d’exercice accroissent le risque d’erreur
Crédit photo : phanie

« La iatrogénie médicamenteuse est une situation fréquente aux urgences. Le médecin doit toujours y penser et développer une véritable culture du bon usage du médicament », souligne la Dr Aurélie Daumas, PU-PH en thérapeutique, à l’hôpital de la Timone à Marseille, qui présentait ce thème au congrès. Issues du réseau français des centres régionaux de pharmacovigilance, les données de l’étude Iatrostat montrent que l’incidence des hospitalisations liées à la survenue d’un effet indésirable médicamenteux a augmenté de 136 % entre 2007 et 2018, passant de 3,6 % à 8,5 %. Ce qui s’explique par le profil de la population concernée. « Le vieillissement de la population s’accompagne d’une augmentation du nombre de personnes polypatho­logiques. La polymédication entraîne un risque accru de prescriptions inappropriées, d’interactions entre les médicaments et d’effets indésirables. L’incidence augmente aussi avec l’âge. Environ 20 % des hospitalisations des patients de plus de 80 ans sont dues à la iatrogénie médicamenteuse, qui est pour partie, évitable », indique la Dr Daumas. Une autre cause expliquant cette hausse est l’arrivée sur le marché de médicaments à risque élevé d’effets indésirables : thérapies ciblées, biothérapies, antidiabétiques oraux, etc.

Réviser les thérapeutiques si nécessaire

La clinique des effets indésirables médicamenteux est souvent aspécifique (malaise, chute, vertiges, etc.). Leur diagnostic est complexe. « Bien qu’étant souvent un diagnostic d’élimination, il faut savoir y penser et connaître les médicaments pris par le patient pour pouvoir faire un rapprochement. Lorsqu’elle est détectée aux urgences, la iatrogénie doit donner lieu à une révision des thérapeutiques dans le respect d’objectifs de soins centrés sur le patient, en collaboration avec celui-ci et les autres professionnels de santé. Il s’agit d’une analyse critique de la pertinence des médicaments du patient au regard de ses comorbidités. « L’objectif est de viser une juste prescription, sur mesure », indique la Dr Daumas.

L’urgentiste peut aussi induire un accident iatrogène : prescription inappropriée d’un nouveau traitement ou absence de poursuite d’un traitement indispensable.

Pratique formalisée par la Haute autorité de santé (HAS), la conciliation des traitements médicamenteux (appelée bilan médicamenteux optimisé : BMO) permet d’établir, pour chaque patient, la liste précise et exhaustive des médicaments prescrits par le médecin traitant, le spécialiste, ou pris en automédication. Cet état des lieux repose sur le croisement de plusieurs sources d’informations : le patient, son entourage, les infirmiers, les médecins prescripteurs et les pharmaciens. « Aux urgences, cette enquête minutieuse est, certes, chronophage. Mais elle réduit les erreurs médicamenteuses potentiellement iatrogènes, telles que l’interruption inappropriée des médicaments habituels, le changement erroné des doses ou des modalités d’administration, la poursuite ou l’ajout indus ou inappropriés de médicaments », assure la Dr Daumas.

Sécuriser le circuit du médicament

La dispensation sécurisée aux urgences est un défi quotidien, surtout en situation d’urgence vitale. L’implication des pharmaciens et la facilitation des prescriptions informatisées sont indispensables. « Le nombre de prescriptions aux urgences est important, et les conditions d’exercice accroissent le risque d’erreur », note la Dr Daumas. De nombreuses études montrent l’intérêt des pharmaciens dans la sécurisation du circuit du médicament et la prévention des erreurs médicamenteuses. « Il est aussi intéressant de développer une culture de ‘l’erreur apprenante’. Il faut donner du sens à la déclaration d’une erreur médicamenteuse par le biais d’une analyse pluridisciplinaire des moyens à mettre en œuvre pour réduire le risque de récidive », souligne la Dr Daumas.

Exergue : « Le bilan médicamenteux optimisé prend du temps mais il en fait aussi gagner en évitant les accidents »

Entretien avec la Dr Aurélie Daumas (CHU de la Timone, Marseille)

Hélia Hakimi-Prévot

Source : Le Quotidien du médecin