Le point de vue du Dr François Braun*

Terrorisme : les urgentistes sont prêts... mais ce n'est pas suffisant !

Publié le 12/11/2019

Depuis le 11 septembre 2011, la réponse aux actes terroristes n'a cessé de s'améliorer, estime le chef de service des urgences de Metz, qui revient sur la doctrine Orsan et les formations mises en place pour optimiser la rapidité et la qualité de la prise en charge des victimes. Mais, pour conserver sa capacité d'intervention, l'hôpital est à protéger aussi, rappelle le patron du Samu aux pouvoirs publics en plein conflit des urgences.

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Les attentats qui ont atteint notre pays ces dernières années ont brutalement remis notre système de santé face aux risques qu’il doit prendre en compte et à ses responsabilités dans la résilience de la nation.

Le 11 septembre 2001 est une date qui a marqué nos esprits et qui nous a fait comprendre, à nous occidentaux, que le risque terroriste était bien réel. Dans les années qui ont suivi, notre système de santé et son pivot essentiel, l’hôpital, s’est mis en ordre de marche. De nombreuses formations spécifiques aux risques NRBC (Nucléaire – Radiologique – Bactériologique et Chimique) ont vu le jour, destinées principalement aux soignants « de première ligne », les urgentistes. Des chaînes de décontamination, fixes et mobiles se sont mises en place à l’entrée de l’hôpital, la composition des PSM (Postes Sanitaires Mobiles), réserve de matériel et de médicaments pour traiter de nombreuses victimes, a été revue, des équipes dédiées ont été formées au sein des hôpitaux et le Plan Blanc, qui organise l’hôpital devant un afflux de victimes, a été réécrit.

L’analyse des risques liés à H1N1 puis à Ebola a construit notre réponse aux risques infectieux émergents avec des dotations de matériels spécifique et l’identification de services hospitaliers, hautement spécialisés, destinés à prendre en charge les victimes de ces infections. En quelques années, l’hôpital était prêt à faire face aux catastrophes naturelles ou technologiques et, pensions-nous, aux attentats de tout ordre.

Avons-nous baissé la garde ? Certainement : les exercices devenaient moins fréquents et l’administration hospitalière voyait d’un œil de plus en plus agacé les demandes, jugées excessives, de quelques urgentistes « lanceurs d’alerte ».

Se préparer à être surpris

Dans notre petit monde d’urgentistes, nous suivions pourtant avec angoisse les différents attentats à travers le monde et surtout, l’ingéniosité diabolique croissante des terroristes : Madrid 2004, Beslan 2004, Londres 2005 et surtout Bombay en 2008 avec des attentats multi-sites et utilisant des techniques meurtrières différentes (fusillades, explosions, prise d’otage…). Parallèlement, des attaques à l’arme de guerre se multipliaient : Utoya, Bruxelles, Toulouse, Copenhague et Paris avec l’attentat de Charlie Hebdo et de l’Hypercasher… Il était urgent de prendre en compte, en opposition avec les catastrophes, le caractère volontaire de l’attaque terroriste et son but visant à blesser et tuer le plus de victimes possible et probablement, désorganiser les secours et les soins pour semer la terreur dans la population.

Quelques précurseurs s’étaient rapidement rapprochés des militaires du service de santé des armées pour partager avec eux les techniques du « damage control » et commencer à les décliner dans nos hôpitaux. Le 13 novembre 2015 leur donna malheureusement raison… mais nous montra aussi une remarquable adaptation de notre médecine pré-hospitalière et de nos hôpitaux. « Se préparer à être surpris » devint notre nouveau mot d’ordre : les plans sont utiles mais il faut surtout structurer notre démarche pour pouvoir répondre à tous les risques, même les plus inimaginables.

Doctrine, stratégie et tactique de soins

La réponse aux actes terroristes a donc dépassé une simple mise à jour des gestes de secourisme et des plans. Plus que des plans il nous fallait une doctrine médicale (les victimes doivent être soignées de la façon la plus performante), une stratégie (des professionnels de santé capables d’adapter la doctrine au risque) et une tactique de soins (l’adaptation sur le terrain de la stratégie). L’attentat de Nice (2016) nous a montré l’importance de cette démarche. Dès lors, c’est ce que nous nous sommes attachés à construire avec toutes les composantes de notre système de santé.

La doctrine est née, elle s’appelle ORSAN (organisation de la réponse du système de santé en situation sanitaire exceptionnelle) et met la victime au centre du dispositif. La formation des professionnels de santé chargés d’organiser cette réponse est maintenant déclinée dans des formations universitaires comme la capacité de médecine de catastrophe ou la formation de directeur médical de crise. La formation enfin des équipes Smur et des équipes chirurgicales a été enrichie de ces concepts et de l’expérience des militaires au combat en particulier concernant le « damage control ». Sur tout le territoire des équipes sont formées, des responsables identifiés, des hôpitaux organisés en réseau…

Nous pouvons donc considérer aujourd’hui que nous sommes prêts. Mais est-ce suffisant ? Certainement pas ! L’attentat contre l’hôpital militaire de Kaboul (2017) nous a montré que les soignants devenaient des cibles tant à l’intérieur de l’hôpital qu’en pré-hospitalier : la protection de l’hôpital doit aussi devenir une priorité tant physique que contre le cyber-terrorisme qui est une menace insuffisamment considérée.

Au risque de me faire traiter de Cassandre, il est essentiel, je dirai vital, que les professionnels de santé, comme nos responsables sanitaires et politiques, ne baissent pas la garde, surtout en ce moment de détresse et de crise de nos services d’urgence et de l’hôpital tout entier.

« In preparing for battle, I have always found that plans are useless, but planning is indispensable » Dwight D. Eisenhower.

* Chef du pôle urgences du CHR de Metz, président de SAMU-Urgences de France

Source : Le Quotidien du médecin