Les récents « scandales » autour de fresques de salle de garde amènent à proposer quelques pistes de réflexions sur le sujet en tant qu’enseignant en histoire de la médecine ayant écrit sur le sujet. Il y a déjà plus d’une vingtaine d’année, j’avais présenté l’ensemble des pratiques rituelles des salles de garde [1], à un moment où on pouvait pressentir que leur fin était proche. Curieusement, la littérature sur le sujet des salles de garde était mince, en dehors de certains médecins racontant leurs souvenirs. À l’époque, seul l’auteur et photographe Patrick Balloul [2] avait commencé à photographier systématiquement l’ensemble des fresques de salles de garde.
La première fresque attestée est celle de l’hôpital de la Charité, qui fut pendant longtemps conservée au Musée de l’Assistance Publique Hôpitaux de Paris. Ce musée, situé quai des Tournelles, face à Notre-Dame est maintenant fermé. Un certain nombre d’objets devraient un jour être présenté dans des salles de l’Hôtel-Dieu réaménagé. Les musées Orfila-Rouvière-Delmas et Dupuytren ont également été fermés.
Le tournant du XIXe siècle
Ces premières fresques sont caractéristiques de la peinture du XIXe siècle, sans caractère pornographique d’aucune sorte. À la fin de ce siècle, les fresques changent, la salle de garde devient souvent un lieu de fête voire de débauche ; de pauvres gens, des artistes sans le sou et parfois des prostituées y vivent. De cette période ne persistent que de rarissimes témoignages. Au cours du XXe siècle, les fresques sont régulièrement repeintes ce qui explique pourquoi les témoignages anciens, autres que photographiques, sont si rares.
Le thème central des fresques tourne autour de la sexualité. Sous des prétextes variés, scènes mythologiques ou modernes, le sexe masculin est représenté sous toutes ses formes même les plus excessives comme celles de la fresque de l’hôpital Saint-Antoine datant de l’après-guerre. Parfois il est même représenté tout seul, comme un petit phallus ailé parcourant les fresques pour son propre compte. Ce genre de représentation est tout à fait comparable à ce qu’on pouvait voir dans l’antiquité.
Si des siècles de répression chrétienne de la sexualité puis de pudibonderie bourgeoise nous ont fait oublier de telles scènes, leur caractère universel est trop évident pour qu'il soit nécessaire de démontrer qu'elles sont présentes de tout temps. Les musées les cachent encore soigneusement, et l'art érotique égyptien, grec et romain, bien qu'incroyablement abondant, est encore le plus souvent dans les enfers des musées, dont il commence tout juste à sortir [3].
Le deuxième thème est la caricature des personnes représentées ce côté satyrique est très important puisque le visage des personnages représentés est celui des chefs de service, internes et autres personnages, pourquoi pas un ministre ?
La question centrale qui se pose à propos des fresques est la suivante : s'agit-il de sexe ou de symbole ? Les savants du XIXe et du XXe siècles en ont fait une image de la pornographie des anciens dont il convenait de protéger les yeux innocents (?) des foules assommées par divers catéchismes (religieux, politiques, etc.), foules trop infantiles à leurs yeux pour pouvoir réfléchir par elles-mêmes.
Priape, personnage central
Quand on rapproche les thèmes des fresques de salle de garde de l'iconographie antique, on peut évoquer, par exemple, les représentations de Priape qui fut le dieu des jardins et des vignes pour les Grecs. Son culte répandu dans toute la Grèce continentale et insulaire atteignit l'Italie méridionale, alors grecque. Priape est, au départ, un dieu de la fécondité du sol, protecteur des troupeaux, des abeilles, mais aussi des marins. Son image ithyphallique (en érection) était placée à l'entrée des domaines pour écarter les maléfices et apporter la prospérité. Plus tard dans le monde romain, Priape fut associé à l'amour physique et à la virilité et prit un aspect de plus en plus licencieux.
La représentation du phallus a ici valeur de symbole, surtout apotropaïque (protecteur) et génésique, représentant la force de la vie opposée à la mort omniprésente dans les hôpitaux d’alors. Il est donc intéressant, en dehors du caractère licencieux qui leur a été prêté, de retrouver ces figurations, à peine déguisées, en salle de garde où se réunissent ceux qui luttent pour la vie et contre les forces du mal représentées par la maladie et la mort.
Une censure déplacée
On voit ainsi qu’une interprétation au premier degré et féministe serait tout à fait erronée. Il faut rappeler aussi que lorsqu’une fresque est repeinte avec de nouveaux personnages, ceux-ci ou celles-ci ne croient pas incarner les héros antiques et modernes sous les traits desquels ils sont représentés.
Les interprétations très négatives qu’on a trouvées dans la presse ou sur internet montraient bien l’incompréhension totale des représentations. Nous ne sommes plus dans une période de libération sexuelle mais au contraire dans un moment de censure et d’autoflagellation où la pudibonderie qui régnait dans la médecine du XIXe et début XXe siècle règne à nouveau.
La lecture des articles sur le sujet montre la confusion extrême qui règne dans ce domaine. À Toulouse des internes – lesquels ?- affichent une banderole proclamant « n’est-ce pas du harcèlement sexuel ? » Étonnante banderole qui révèle que ceux qui l’ont écrite confondent la réalité et la représentation ! Qui est harcelé ? De même Martin Hirsch déclare, de façon assez affligeante : « Nous aurons à trancher la question de savoir s'il faut ou non repeindre les salles de garde dont les fresques doivent être considérées comme un témoignage de pratiques révolues, pas comme une incitation à maintenir des traditions malsaines. »
De toute façon, la salle de garde mourra
Les fresques ne sont pas le témoignage de pratiques révolues, ce ne fut jamais une représentation de ce qui se passait en salle de garde, mais la messe est dite, sexualité visible et caricature sont de trop pour la pensée molle et correcte qui règne actuellement. Heureusement que M. Hirsch, qui n’a jamais semblé intéressé par l’histoire, n’a pas son mot à dire à Pompéi, sinon les fresques érotiques seraient bientôt effacées.
De toute façon, quelle que soit l’issue de ce combat inégal, la bien-pensance et le politiquement correct triompheront, la salle de garde mourra, vaincue comme dernier souvenir de l’internat qui a peu à peu été détruit. Les administrations hospitalières ne voulaient plus de salle de garde, l’internat était le signe d’une élite détestable, tout doit disparaître.
Il est plus facile de parler de harcèlement sexuel que de harcèlement moral et d’injustice à l’hôpital ; dans les brutes en blanc, Martin Winckler dresse un réquisitoire terrible et juste de l’état présent de la médecine, je ne pense pas que l’effacement des fresques contribue à un meilleur respect des hommes et des femmes, malades ou non.
[1] Josset, La salle de garde, histoire et signification des rituels des salles de garde de médecine, chirurgie et pharmacie depuis le moyen-âge jusqu’à nos jours.
[2] Balloul, La salle de garde ou Le plaisir des dieux Tome 1; Balloul, La salle de garde ou Le plaisir des dieux, Tome 2; Balloul, La Salle de Garde d’hier à aujourd’hui.
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