LE QUOTIDIEN : Vous aviez promis les textes avant le 14 juillet, les internes et les enseignants s’impatientent. Pourquoi ce retard ?
Dr YANNICK NEUDER : Je vous rappelle que le texte a été voté en 2022, dans la loi de financement de la Sécurité sociale de 2023. Quand je suis arrivé au ministère le 24 décembre dernier, on n’était pas près de sortir les textes réglementaires. Aujourd’hui, je veux dire : pari tenu ! Les premiers décrets et arrêté, sur la rémunération notamment, paraîtront dans quelques jours. Avec méthode depuis fin 2024, il y a eu de nombreuses concertations, sous l’égide d’un comité de pilotage nationale avec le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, les syndicats d’étudiants, les syndicats de médecins, des fédérations, représentants des maîtres de stage et des enseignants de médecine générale, l’Ordre des médecins, la conférence des Doyennes et des Doyens, les associations d’élus, les agences régionales de santé (ARS)… Aujourd’hui, tout est structuré. Je veux maintenant qu’on accélère car c’est un vrai effort positif envers la médecine de ville : 3 700 docteurs juniors seront présents dans les territoires au 2 novembre 2026. Cette réforme est une chance pour améliorer la qualité de la formation des futurs généralistes, mais aussi pour renforcer l’accès aux soins dans les zones les plus fragiles.
Après la présentation de vos premiers arbitrages en mai, vous aviez annoncé un coup de pouce supplémentaire pour les maîtres de stages(MSU). Est-ce confirmé ou allez-vous plus loin ?
Début juin effectivement, j’ai annoncé une première extension pour que la prime de 800 euros prévue pour les maîtres de stage exerçant en ZIP soit étendue aux praticiens en ZAC et QPV. Cela permet de couvrir environ 80 % des MSU. Avec l’indemnisation socle de 1 200 euros et la prime pédagogique et la supervision des MSU dans le cadre de la PDSA, l’indemnité pour les MSU pourra atteindre 3 000 euros (voir encadré). La rémunération des MSU a été concertée et le schéma définitif totalement partagé en comité plénier.
Et pour les docteurs juniors, restez-vous sur un schéma principalement salarié rejeté par les syndicats juniors ? Étendez-vous également la prime ZIP aux ZAC et QPV ?
J’entends bien que c’est un sujet sensible, mais maintenant je souhaite qu’on avance. Cette réforme est demandée par la médecine générale pour être reconnue au même titre que les autres spécialités avec une 4e année de DES. Cependant, le syndicat des internes de médecine générale défend une rémunération à l’acte. Ce schéma avait été écarté en s’appuyant notamment sur l’avis du CCNE. La rémunération a été réfléchie pour permettre aux docteurs juniors de se professionnaliser, de découvrir d’autres secteurs comme la PMI ou des exercices spécifiques dans le cadre de la PDSA par exemple. C’est pourquoi l’architecture de leur rémunération propose une part socle à 2 375 euros, comme tout interne, puis une prime d’autonomie supervisée, comme tout docteur junior à 417 euros. La permanence des soins sera valorisée à 1 560 euros en moyenne (voir encadré) et le stage en ZIP avec une prime de 1 000 euros. Cette prime en ZIP vise à favoriser le choix de ces terrains de stage. Avec ces différents éléments, nous arrivons à une rémunération globale mensuelle de 5 352 euros (voir encadré), à laquelle nous ajoutons une part incitative de 500 euros semestriels si le docteur junior fait plus de 200 consultations par mois. On retrouve donc l’esprit d’une rémunération tenant compte de l’activité.
Les listes des terrains de stage seront prêtes sur le dernier trimestre pour les choix de stage
Y aura-t-il assez de terrains de stages en novembre 2026 ? Vous évoquiez un recensement débuté par les ARS, avez-vous des premiers chiffres ?
Oui, il y en aura même plus que nécessaire. Un arrêté paraîtra mi-août pour permettre aux maisons de santé pluriprofessionnelles et aux centres de santé d’être agréés pour accueillir des étudiants en santé dont les docteurs juniors. Quand nous avons fait le recensement des 151 zones prioritaires pour l’accès aux soins, nous avons mobilisé les ARS, au titre de l’offre de soins, et les préfets, pour celui de l’aménagement du territoire, afin qu’ils soient en interface avec les élus locaux pour identifier là où il y a une maison de santé, un généraliste qui pourrait être maître de stage, une structure… Les listes des terrains de stage seront prêtes sur le dernier trimestre pour les choix de stage.
Vous citez la liste des zones « rouges » pour l’accès aux soins. Où en est-on de l’obligation de solidarité territoriale qui doit être effective dès septembre ?
Nous travaillons avec les préfets et les ARS jusqu’à l’échelon des élus locaux pour identifier les lieux d’accueil et l’organisation prévue pour les futurs praticiens volontaires. Pour ces zones rouges, nous prenons comme indicateurs l’éloignement de l’accès aux soins en kilomètres, la faible densité de professionnels, et le pourcentage de patient en ALD. On devrait avoir d’ici mi-septembre les premiers lieux mais aussi les médecins volontaires qui se font déjà connaître auprès des directeurs d’ARS.
N'oublions pas que pendant que ces mesures incitatives de responsabilité collective se mettront en place, au Parlement se discuteront les propositions de loi Mouiller et Garot. J’ai bien reçu le message de la profession, tout à fait défavorable à la régulation à l’installation. Je l’ai défendu, mais il faut aussi nous commencions vraiment à inverser la tendance pour faire reculer les déserts médicaux. C’est le sens de la solidarité territoriale dès septembre puis des docteurs juniors en ambulatoire en 2026.
Votre loi sur la formation a été votée il y a quelques semaines. Dans la foulée, la Conférence des doyennes et des doyens, les étudiants en médecine de l’Anemf et l’Ordre ont alerté sur le risque d’une réintégration anticipée des étudiants français partis faire médecine à l’étranger. Que leur répondez-vous ?
Les déserts médicaux nécessitent une prise en charge globale. 1 600 étudiants français partent suivre leur cursus de médecine à l’étranger chaque année, c’est une vraie hémorragie. Et s’ils y finissent leurs études, d’autres pays viendront les chercher. J’insiste : on propose de les réintégrer dans le cursus sans prendre la place des uns ou des autres. Il s’agit de faire revenir ces générations qui ne se sont pas retrouvées dans le système PASS et LAS et qui ont subi le numerus apertus. Une fois qu’on aura mis en place la réforme de sélection de première année de médecine fondée sur les besoins du territoire, ce dispositif n’a pas vocation à perdurer. Il faut qu’on se batte collectivement pour voir les moyens augmentés au niveau des facultés de médecine pour pouvoir former plus, bien et partout.
Le gouvernement a distillé les premières pistes sur le futur budget de la Sécurité sociale, notamment la réforme des ALD. Comment s’appliquera-t-elle ?
Le sujet est aujourd’hui sur la table car la part des dépenses des personnes en ALD représente deux tiers des dépenses de l’Assurance maladie. En 2035, ce poste atteindra les trois quarts de la dépense totale. Il y a plusieurs choses. D’abord nous souhaitons renforcer fortement la prévention afin d’éviter autant que possible la dégradation de l’état de santé des personnes les plus à risque, et, ainsi limiter le flux d’entrée en ALD. Il faut diminuer l’incidence, la prévalence de ces pathologies en limitant le cholestérol, le diabète, le tabac, l’hypertension artérielle…
Ensuite, nous souhaitons agir sur la durée de l’ALD. Cela dépendra du parcours et du niveau de sévérité, qu’il faudra définir collectivement. Les consultations seront menées. Je suis très ouvert sur ces questions.
Je ferai à la rentrée des propositions de réformes structurelles, notamment sur l’hôpital
Il a été annoncé un Ondam pour 2026 en deçà de 2 %. Est-ce tenable au regard des besoins de santé ?
Nous fêtons les 80 ans d’un système de sécurité sociale construit en 1945 et qui a bien sûr évolué mais qui sur beaucoup de points n’est plus du tout calibré pour la situation actuelle. Notre population vieillit, l’entrée sur le marché du travail est plus tardive et le départ à la retraite plus précoce au regard de l’espérance de vie, la mortalité a complètement changé. Le système est déséquilibré. Le Premier ministre a annoncé 5,5 milliards d’euros d’économies sur la santé. Je rappelle que spontanément, les dépenses de santé augmentent de 10 milliards par an, nous devons nous astreindre à limiter cette hausse à 5 milliards. Je ne cherche pas de coupable, mais nous devons collectivement faire en sorte que le système soit soutenable. Je ferai à la rentrée des propositions de réformes structurelles, notamment sur l’hôpital.
Dans ce contexte, le gel pour six mois des revalorisations des consultations prévues dans la convention médicale sera-t-il prolongé ?
C’est le comité d’alerte qui a enclenché ces mesures. C’est difficile pour les kinésithérapeutes, les pharmaciens et les médecins. Ces revalorisations qui devaient avoir lieu au 1er juillet ont donc été repoussées au 1er janvier. La reconduction de ce gel n’est pas automatique, des discussions devront avoir lieu et ce seront des mesures à arbitrer.
Les rémunérations et le calendrier dans le détail
Pour les docteurs juniors, la rémunération sera répartie en :
Part socle (mensuelle) : 2 375 euros + prime d’autonomie supervisée : 417 euros
Part variable (mensuelle) : PDSA pour une garde mensuelle de régulation de douze heures : 1 200 euros + PDSA pour deux astreintes mensuelles : 360 euros + prime ZIP : 1 000 euros
Part incitative (semestrielle) : conditionnée à la réalisation de plus de 200 consultations mensuelles : 500 euros
Pour les MSU, la rémunération est répartie en :
Part socle : compensation des charges du cabinet : 1 200 euros + prime pédagogique : 600 euros
Part variable : prime ZIP, ZAC et QPV : 800 euros + prime supervision en PDSA : 400 euros
Des textes publiés dans les prochains jours, d’autres fin août et certains dans le PLFSS. Le décret fixant le principe de la prime semestrielle pour les docteurs juniors ainsi que les arrêtés sur les rémunérations devraient paraître dans les prochains jours. La définition de la participation à la permanence des soins ainsi que le circuit financier devront eux être intégrés au projet de loi de financement de la Sécurité sociale de 2026 qui sera débattu à l’automne au Parlement. Enfin, un décret est soumis à l’examen en Conseil d’État et concerne la thèse de médecine générale. Il permettra aux promotions de 2023, 2024 et 2025 d’effectuer leur thèse pendant leur 4e année. « Pour les promotions suivantes, on rentrera dans le droit commun, il faudra qu’il passe leur thèse pendant leur internat, comme c’est le cas pour les autres spécialités », précise le ministre. Enfin, un arrêté paraîtra mi-août pour permettre à des maisons de santé pluriprofessionnelles et des centres de santé d’obtenir un agrément pour être terrain de stage.
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