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Dossier

D'une tribune aux tribunaux

Les homéopathes défendent leur honneur de médecin

Par Stéphane Lancelot - Publié le 21/06/2018
Les homéopathes défendent leur honneur de médecin

Homéopathie
GARO/PHANIE

Une tribune signée par 124 professionnels de santé contre les médecines alternatives a relancé le débat sur l’efficacité de l’homéopathie et déclenché une bataille judiciaire. Secoués par la vigueur de l’attaque de leurs confrères, les quelque 5 000 adeptes attendent sereinement l’évaluation des médicaments homéopathiques prévue cet été. Le Généraliste les a interrogés.

« L’homéopathie, comme les autres pratiques qualifiées de “médecines alternatives”, n’est en rien scientifique », assénaient en mars 124 professionnels de santé dans une tribune publiée dans Le Figaro. Les signataires, en majorité médecins, ont frappé fort en demandant à l’Ordre des médecins et aux pouvoirs publics de ne plus autoriser les adeptes de ces “fakes médecines” à faire état de leur titre et de ne plus reconnaître leurs diplômes. Les traitements homéopathiques n’étant pas soumis au même processus d’évaluation que l’allopathie, les signataires réclamaient également le déremboursement des soins et médicaments prescrits par des praticiens exerçant l’homéopathie ou toute autre médecine alternative.

Largement relayée sur Twitter avec l’hashtag #Fakemed, l’initiative a eu une forte résonance médiatique. Plusieurs milliers de signataires ont rejoint le combat anti “fake médecines”, marquant le début d’une longue polémique… Une évaluation de l’efficacité de l’homéopathie cet été Dans la foulée de la tribune, l’Ordre s’en est remis à l’Académie de médecine. Longtemps silencieuse, l’institution a récemment réaffirmé l’absence de preuves scientifiques de l’efficacité de l’homéopathie. Ne voulant pas négliger l’effet placebo, elle réfléchit actuellement à sa position sur le déremboursement des granules.

Agnès Buzyn avait indiqué dans un premier temps que « si l’homéopathie [continuait] à être bénéfique sans être nocive, elle continuerait à être remboursée ». La ministre de la Santé avait amendé sa position un mois plus tard, annonçant l’ouverture cet été d’un débat sur son utilité.

L’arrêt de la prise en charge de ces produits, « goutte d’eau dans les dépenses de santé », serait une « hérésie » pour le Dr Charles Bentz, président du Syndicat national des médecins homéopathes français (SNMHF). Leur déremboursement entraînerait d’après lui une perte de chance pour les patients « qui se tourneraient vers des naturopathes ou des magnétiseurs » ou opteraient pour une automédication à l’homéopathie. « Ce serait un grave danger, avertit-il. Quand ils viennent chez nous, ils sont d’abord examinés. »

Les homéopathes, optimistes, ne croient pas à un déremboursement. Et ce, malgré le changement de position de la ministre et l’absence d’explications sur le mode d’action de l’homéopathie, de leur propre aveu. « Nous avons les arguments nécessaires pour prouver que l’homéopathie est un plus dans les possibilités thérapeutiques, tout comme l’acupuncture et d’autres techniques, et que tous les moyens sont requis pour soigner les Français », confie le Dr Charles Bentz. « Si c’était du pipeau, l’homéopathie n’aurait jamais tenu 200 ans », analyse le Dr Didier Barocas, généraliste homéopathe à Paris.

Une « anti-confraternité » qui choque

Habitués aux attaques, les homéopathes n’en avaient jamais connu de telle ampleur. « À chaque changement de ministre de la Santé, les détracteurs des médecines alternatives essaient de les faire dérembourser », relève le Dr Didier Barocas. « Cette fois-ci, on est monté d’un cran dans la virulence », constate Dr Anne Yven (La Ravoire).

Plus qu’un éventuel déremboursement, c’est la remise en question de leur qualité de médecin – par des confrères de surcroît – et la virulence avec laquelle celle-ci est exprimée qui choquent les homéopathes. « Il s’agit d’une attaque en bonne et due forme, totalement anti-confraternelle », s’indigne le Dr Jean-Claude Ravalard, homéopathe aux Herbiers (Vendée).

Dès lors, hors de question pour les adeptes de se laisser faire. Rapidement, la riposte s’est organisée et des plaintes pour anti-confraternité ont été déposées auprès de l’Ordre à l’encontre de certains signataires de la tribune des 124 professionnels de santé (voir-ci dessous). Ces poursuites d’origine syndicale sont soutenues par les médecins homéopathes sur le terrain : « L’attaque est trop forte. Les syndicats ont raison de dire “ça suffit !” », clame le Dr Jean-Claude Ravalard.

Mais en s’engageant sur le terrain judiciaire, ces organisations ne nourrissent-elles pas la polémique ? « Nous sommes attaqués sur notre qualité de médecin, s’indigne le Dr Bentz. Les remontées ont été très nombreuses : nos adhérents sont scandalisés par cette tribune ! Aucune raison pour ne pas répliquer », fulmine le président du SNMHF.

Les syndicats et les praticiens attendent désormais des sanctions. Sans toutefois en préciser le type. « Nous voulons juste que l’Ordre admette le caractère anti-déontologique de ces comportements, et nous reconnaisse comme médecins à part entière », explique le Dr Charles Bentz.

Des généralistes comme les autres ?

Homéopathes, les Drs Yven, Bentz, Ravalard et Barocas s’estiment avant tout généralistes, et se défendent de ne jurer que par l’homéopathie. Médecin traitant de « nombreux patients » à La Ravoire, le Dr Yven n’a pas tourné le dos à l’allopathie. « L’homéopathie me rend bien service dans certaines situations. C’est une corde de plus à mon arc », fait valoir la praticienne, qui estime prescrire des granules à l’issue de huit consultations sur dix. En Alsace, si les patients du Dr Bentz le consultent en raison de sa spécialité, celui-ci rappelle que « ce n’est pas à eux de décider de leur traitement ».

« Je suis médecin comme tous les autres. J’ai fait les mêmes études », clame le Dr Ravalard. Et l’homéopathe vendéen de souligner : « J’ai fait un CES de gérontologie, un de médecine du sport, un autre de pédiatrie. Je me suis formé en permanence pendant toutes mes études et je continue à le faire. » Comme n’importe quel médecin, il lui arrive de douter, tous les jours. « Et heureusement ! On doit toujours se remettre en question. Ce n’est pas parce que j’ai 40 ans d’expérience que je sais tout en homéopathie. »

Avec la désertification médicale actuelle, les homéopathes prônent donc l’unité. « C’est dommage de se faire la guerre : nous servons tous la même cause », s’émeut le Dr Anne Yven. « Dans le système de santé actuel, nous avons besoin de tous les praticiens. Les médecins à expertise particulière participent à la prise en charge des patients comme tous les autres », souligne le Dr Bentz.

Impossible dialogue

Ces arguments ne convainquent pas les anti “fake médecines”, avec qui le dialogue est rompu. Las, les homéopathes confient leur résignation. « Ça fait longtemps que j’ai compris que discuter de l’homéopathie avec un détracteur est du gaspillage de salive. Je n’essaie plus de convaincre personne », tacle le Dr Yven. Le Dr Ravalard a lui aussi cessé de débattre : « Je ne vois pas pourquoi la polémique s’arrêterait. Quand on essaie de discuter avec un médecin traditionnel, ça se termine en pugilat, chacun reste sur ses positions. »

« Je peux comprendre qu’on évoque un simple effet placebo, faute d’explications du mode d’action, concède le Vendéen. Si on n’est pas soi-même confronté à la réalité de l’effet de l’homéopathie, on peut douter. On peut être en désaccord, mais pas se montrer anti-confraternel à ce point. »

Le soutien des patients

En dépit de sa médiatisation, la polémique ne semble pas avoir eu d’effet sur la fréquentation des cabinets des praticiens homéopathes. « Soit mes patients ne sont pas au courant, soit ils sont plutôt de mon côté », observe Anne Yven. « Avant l’évocation par la presse régionale du déremboursement, aucun patient ne m’avait parlé de la polémique », constate le Dr Charles Bentz.

En France, l’homéopathie jouit d’une certaine confiance. Selon une étude Ipsos réalisée en juin 2016 pour le Leem auprès de 1 000 personnes, 73 % des Français font confiance aux granules : un niveau de confiance inférieur aux “médicaments en général” (84 %) mais supérieur à celui des vaccins (69 %). « Depuis qu’on parle beaucoup de l’homéopathie et d’un éventuel déremboursement, j’ai l’impression qu’on m’en demande davantage », annonce même un praticien qui en prescrit à l’occasion.

Et pour les homéopathes, une chose est certaine : les patients monteront au créneau si nécessaire. « Ce sont aussi des électeurs, et ils sont beaucoup plus nombreux que les médecins ! », glisse le Dr Bentz.

ONZE PLAINTES DÉPOSÉES POUR ANTI-CONFRATERNITÉ, 124 À VENIR

Attendus sur le terrain scientifique par leurs confrères, les défenseurs des médecines alternatives ont finalement répondu sur le terrain disciplinaire. Une dizaine de jours après la parution de la tribune des 124, quatre syndicats représentant les médecines alternatives – emmenés par l’Union collégiale –, une association et quatre médecins ont déposé plainte auprès des conseils ordinaux départementaux de dix des médecins signataires pour anti-confraternité. Les plaignants invoquent notamment les articles R.4127-3 et R.4127-56 du code de la santé publique. Le premier indique que « tout médecin doit s’abstenir, même en dehors de l’exercice de sa profession, de tout acte de nature à déconsidérer celle-ci ». Le second stipule que « les médecins doivent entretenir entre eux des rapports de bonne confraternité ». « Ces médecins ont le droit de s’exprimer, mais ni en ces termes-là, ni en le médiatisant de la sorte. C’est plus du buzz que de la discussion entre confrères », s’indignait fin mars le président de l’Union collégiale, le Dr Meyer Sabbah, interrogé par Le Généraliste. Le collectif de plaignants menace de déposer de nouvelles plaintes. Leurs avocats avaient exigé des excuses écrites des signataires avant de se rendre aux réunions de conciliation organisées par les Ordres départementaux. Ne les ayant pas obtenues, ils ne s’y sont pas présentés.

Issue d’un médecin homéopathe isolé, une 11e plainte vise un autre signataire. Les deux médecins exercent dans le même département. Le SNMHF s’apprête lui aussi à déposer plainte auprès des conseils départementaux des 124 signataires de la tribune anti “fake médecines”, invoquant le même motif. « Une sanction reconnaissant la non-confraternité nous suffit, confie le Dr Charles Bentz. C’est à l’Ordre de décider de la sanction en fonction de la gravité de ce qu’ont commis nos confrères. »

Si les plaintes étaient maintenues, elles ne seraient pas traitées avant deux ou trois ans.


Dossier écrit par Stéphane Lancelot