Rendez-vous a été fixé en cette matinée de janvier au cabinet de Saint-Pierre-Montlimart – entre Angers et Nantes – dans lequel intervient le Dr Stéphane Freze, à raison d’une journée hebdomadaire. Le généraliste de 48 ans, qui exerce le reste de la semaine au pôle de santé de Segré, distant de 60 km, y a signé un contrat de solidarité territoriale médecin (CSTM), dispositif incitatif qui favorise l'exercice ponctuel dans les zones identifiées comme sous-denses. Ce qui l’a convaincu de s’engager ? Un échange avec Rodolphe Poirier, l’un des quinze délégués de l’Assurance-maladie (ou « DAM ») du département du Maine-et-Loire. Un exemple du « liant » que peuvent tisser ces missi dominici de la Cnam avec les médecins de leur territoire, parfois loin des postures nationales qui théâtralisent et durcissent les relations entre la profession et la Sécu.
Sur le terrain, l’enjeu est de faire vivre le partenariat pour améliorer l’accès aux soins de la population. « Bonjour Docteur, vous allez bien ? », « Très bien, merci, et vous ? ». L’échange de politesses n’est pas que de pure forme, les deux hommes se connaissent bien. Depuis 2023 en l’occurrence, lorsque l’unique généraliste du secteur décide, sans crier gare, de fermer son cabinet, laissant les quelque 3 500 habitants de la ville sur le carreau. Le délégué de l’Assurance-maladie Rodolphe Poirier sollicite son réseau et adresse un mail aux 75 omnipraticiens qu’il rencontre régulièrement depuis une quinzaine d’années dans le cadre de ses fonctions. Il leur parle du CSTM, ce contrat de trois ans (renouvelable) avec engagement d’exercice libéral au minimum 10 jours par an dans une zone fragile, permettant de percevoir une aide annuelle de 25 % des honoraires de l’activité conventionnée dans la limite de 50 000 euros par an. Bingo : la commune du Pays des Mauges ne sera restée « que » cinq mois sans généraliste et le DAM continue d’essayer de convaincre de nouveaux confrères d’y assurer des consultations ponctuelles.
La capitation, et pourquoi pas ?
Mais aujourd’hui, le fil directeur du rendez-vous entre le DAM et le généraliste concerne la convention signée cet été, ses « avancées », ses « opportunités » ou juste la compréhension des règles du jeu. Passé les rappels tarifaires – dont le passage de la consultation de référence à 30 euros depuis le 22 décembre - le délégué de l’Assurance-maladie détaille la suite du programme. Et le menu est copieux avec la suppression en 2026 de l’ancien forfait patientèle médecin traitant (FPMT) et de la rémunération sur objectifs de santé publique (Rosp) vers un « forfait unique » par patient (FMT), plus simple et lisible. Un big bang pas si simple à digérer. « C’est dense ! », s’amuse le Dr Freze. « Vous percevrez cinq euros par indicateur validé et par patient », détaille le DAM à propos de cette refonte.
D’autant plus qu’à ce chapitre viennent s’ajouter les 15 programmes d’actions chiffrés autour de la pertinence et la qualité des soins, par exemple sur la réalisation de dépistages précoces, le juste recours aux arrêts de travail ou le recentrage des prescriptions d’IPP. Mais, rapidement, le Dr Freze fait dévier la conversation sur un sujet imprévu : la rémunération à la capitation pour les équipes volontaires ! Le généraliste, dans le cadre de son exercice au pôle santé, se déclare intéressé par cette perspective qui avait fait bondir certains syndicats. « Nous sommes quelques-uns - pas tous - à réfléchir à cette formule ! Tout en restant libéraux, cette piste de forfait pourrait permettre de consacrer davantage de temps de consultation aux patients », estime le maître de stage universitaire de la fac de médecine d’Angers.
On arrive à discuter comme si on se connaissait depuis longtemps
Rodolphe Poirier, délégué de l’Assurance-maladie
Alors, la capitation ? Avec seize ans de métier au compteur, Rodolphe Poirier maîtrise son sujet. Au moins trois généralistes et un infirmier libéraux conventionnés sont requis, en cabinet de groupe ou en maisons de santé, pour entrer dans le dispositif, précise-t-il. La patientèle médecin traitant concernée par le forfait doit s’élever au minimum à 250 personnes. Mais le cahier des charges « n’étant pas encore rédigé », ce sera l’objet d’un futur rendez-vous… « Le Dr Freze, je ne le connais que depuis dix-huit mois, mais on arrive à discuter comme si on se connaissait depuis longtemps, confie l’ancien agent d’accueil de la caisse de Cholet de 45 ans. C’est un aspect de mon travail qui me plaît énormément. Nous sommes des partenaires, on collabore dans un but commun : faciliter l’exercice et répondre aux difficultés d’accès aux soins des patients ». Pendant une heure, les deux hommes auront balayé une bonne dizaine de sujets – des majorations pour les médecins en ZIP aux aides à l’embauche d’un assistant médical.
Contrairement aux idées reçues, les DAM ne se portent pas à la rencontre des seuls médecins. Pharmaciens, kinés ou infirmiers ont droit à ces visites personnalisées pour assurer la promotion des bonnes pratiques issues des recommandations des autorités en santé et, si possible, contribuer à l'évolution des comportements. Le planning d’un DAM hérite aussi de réunions au sein des CPTS ou des maisons de santé ou avec les élus. « Je me cale en fonction des agendas des professionnels de santé, s’ils me disent être disponibles à huit heures du matin, j’y serai ! », poursuit Rodolphe Poirier qui rayonne sur six communes, où exercent 75 généralistes. En tout, l’enthousiaste délégué de la Sécu, enfant du pays, estime assurer quelque 70 rendez-vous mensuels…
« Le sens du relationnel, la curiosité et l’autonomie font partie des qualités d’un bon délégué, explique Valérie Lambert, manager DAM et déléguée numérique en santé de la caisse d’Angers. Ils sont le canal privilégié et le point d’entrée du professionnel de santé vers la caisse primaire et nous font remonter les informations ». Côté médecins, le territoire angevin compte 757 généralistes et 620 spécialistes, avec qui les relations sont plutôt bonnes, se réjouit la responsable. Et ces temps-ci, la mission principale de la quinzaine de DAM consiste évidemment à présenter les nouveautés conventionnelles, notamment celles conçues pour renforcer l’attractivité du métier. « 85 % de nos médecins ont été vus depuis octobre », précise Valérie Lambert.
Pour Rodolphe, c’est l’enjeu du second rendez-vous de la journée, lorsqu’il pousse la porte de la maison médicale de la commune déléguée de Torfou, où exercent six généralistes. Cette fois, c’est la Dr Clémence Retailleau, accompagnée de son assistante médicale, Nadège, qui le reçoit. La généraliste de 37 ans s’est installée ici en 2018. À l’évidence, les trois interlocuteurs s’apprécient. Pour autant, le délégué ne parviendra pas à convaincre la généraliste de l’embauche d’une infirmière en pratique avancée, une « IPA », que facilite la convention. « Je suis très bien avec mon infirmière Asalée ! », sourit la Dr Retailleau, qui décline également une participation ponctuelle au service d’accès aux soins (SAS), la plateforme de réponse aux appels urgents et non programmés qui mobilise les libéraux. « Je préfère me consacrer pleinement à la patientèle de notre territoire immédiat », argumente-t-elle.
Un logiciel au top
Sur ces deux dernières tentatives, Rodolphe Poirier repartira bredouille mais aura cependant eu droit à des félicitations pour… le logiciel de facturation Omniprat, un outil d’aide à la cotation pour les généralistes mis au point conjointement par l’URML et l’Assurance-maladie. Très simple d’utilisation, « cet outil leur permet de trouver rapidement la juste facturation qui correspond à l’examen réalisé et de ne pas simplement coter un G à 30 euros », explique le délégué.
À l’espace cafétéria de la maison médicale, cette trouvaille fait d’ailleurs l’objet de discussions entre collègues quand un praticien découvre une cotation qui lui était inconnue. Les relations entre médecins libéraux et envoyés des caisses primaires réservent parfois quelques bonnes surprises.
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