LE QUOTIDIEN : Dès le lendemain de votre élection, vous étiez présente aux côtés de vos confrères pour alerter sur les violences faites aux soignants, lors de la journée de mobilisation du 12 mars, et vous avez pu être reçue en délégation par le ministre Yannick Neuder. Votre mandat débute sur les chapeaux de roues…
Dr MOKTARIA ALIKADA : Oui, nous sommes montés à Paris avec deux autres vice-présidents de l’association. On tenait absolument à représenter Médecins pour demain dans le cadre de cette journée de mobilisation du 12 mars pour dire : « Non à la violence faite aux soignants ». Nous voulions taper fort pour que la proposition de loi de l’ex-député Horizons Philippe Pradal, qui contient des réponses pour lutter contre ce fléau des violences, soit mise au calendrier du Sénat. Ce qui a porté ses fruits. Quand nous avons été reçus au ministère, le ministre Yannick Neuder nous a affirmé que le président du Sénat, Gérard Larcher, avait promis que cette PPL serait à l’ordre du jour du Sénat début mai.
Le ministre de la Santé nous a également dit qu’il échangerait avec le ministère de l’Intérieur pour faciliter les dépôts de plainte des soignants après une agression. Les professionnels de santé sont des gens qui bossent 55 à 60 heures par semaine et beaucoup de collègues médecins, pharmaciens ou infirmiers ne portent pas plainte simplement parce qu’ils ne veulent pas passer cinq heures au commissariat ! Il est question de créer un guichet unique, une sorte de voie spécifique dédiée aux professionnels de santé qui permettrait d’accélérer les choses… Cela permettrait, en outre, d’avoir de vraies statistiques sur les violences faites aux soignants. Un professionnel de santé sur trois ne porte pas plainte quand il est victime d’agression physique ou verbale.
“Je constate que ce métier est en voie de disparition
La convention médicale a instauré la consultation de référence à 30 euros. Votre combat emblématique pour une consultation à 50 euros est-il toujours à l’ordre du jour ?
Bien sûr ! Je participe à Médecins pour demain, depuis sa création à l’été 2022, pour sauver ce métier-passion de médecin généraliste et de médecin traitant de famille qui permet de suivre les gens dans la durée et dans leur globalité. Or, je constate que ce métier est en voie de disparition.
On nous a beaucoup stigmatisés sur notre revendication de la consultation à 50 euros, alors qu’on ne demande pas que ça, loin de là. On veut que l’expertise médicale reste médicale, qu’il n’y ait pas de transferts de compétences et qu’on puisse bénéficier d’une rémunération correcte pour nos consultations longues. Comme nous sommes payés à l’acte, cela nous incite à aller plus vite. Nous voulons voir les gens correctement, prendre le temps nécessaire. Mais le temps, ça se rémunère ! Or, tous les moyens ne sont pas mis en œuvre. Selon l’OMS, il faudrait investir 3 % du PIB pour les soins de premier recours pour avoir une médecine de qualité. En France, on n’y est pas…
La proposition de loi transpartisane du député socialiste Guillaume Garot sera discutée à l’Assemblée début avril. Ce texte propose d’encadrer les installations et de revenir aux gardes obligatoires. Que répondez-vous ?
On ne comprend vraiment pas où le député Garot veut en venir avec cette offensive de régulation. J’espère pouvoir le rencontrer pour faire œuvre de pédagogie. On a seulement 10 % des médecins qui s’installent tout de suite en libéral à la fin des études et seulement 40 % qui sont installés au bout de cinq ans. Dans ce contexte, vouloir contraindre l’installation ne peut aboutir qu’à un seul résultat : les rares médecins motivés ne s’installeront plus du tout. L’exercice libéral sera pénalisé. Ce que fait le député Garot, c’est du sabotage pur et simple !
Sa volonté d’un retour à l’obligation de gardes est là aussi une très mauvaise idée. Je rappelle que 96 % des gardes sont effectivement pourvues et, pour les 4 % qui restent, c’est parce qu’il n’y a déjà pas de médecins en journée. Sur la permanence des soins ambulatoires, Guillaume Garot est donc en train de créer des problèmes là où il n’y en a pas. Et en matière de régulation à l’installation, il ne fait qu’aggraver la situation.
Dans une lettre, la CSMF épingle aussi Garot
Dans un courrier daté du 17 mars, les trois « présidents » de la CSMF - les Drs Devulder, Duquesnel (branche généraliste) et Perrouty (branche spécialiste) – s’adressent directement à Guillaume Garot et aux députés du groupe transpartisan sur l’accès aux soins. Pour les responsables syndicaux, loin de l’objectif visé, « certaines propositions pourraient conduire à l’effet inverse et aggraver l’accès aux soins ».
Ils critiquent l’article 1 limitant la liberté d’installation (qui resterait de droit uniquement en zone sous-dense), sous le contrôle des agences régionales de santé (ARS). En période de pénurie médicale, écrivent-ils, « il n’a pas été montré que des mesures coercitives peuvent favoriser l’installation de nos jeunes confrères ». Le risque serait donc élevé de les voir partir en nombre vers le salariat. Les trois cadres de la Conf’ contestent aussi la méthode. « Aujourd’hui, il n’y a aucune zone surdotée en médecin traitant et les zones normo-dotées deviennent de plus en plus rares », peut-on lire.
Quant au retour d’une obligation de permanence des soins (PDSA), cela « n’a pas de sens », alors que 96 % du territoire est couvert et que 39,4 % des généralistes y participent (mais huit généralistes traitants sur dix). La CSMF invite donc les députés à réécrire cet article pour y faire figurer… les généralistes salariés des centres de santé (dans le cadre de la responsabilité collective de la PDSA).
La CSMF fait savoir également qu’elle sera défavorable à toute mesure contraignant la durée de remplacement. Enfin, la centrale appelle à « explorer la piste des étudiants français partis faire leurs études de médecine à l’étranger et dont la plupart aspirent à revenir pour les poursuivre en France », mesure portée par le ministre de la Santé Yannick Neuder.
L.J.
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