« Attention, ce soir ça bouge ! » Ce message passé par le médecin de SOS au centre de régulation de l’association après sa visite au domicile d’un patient signe l’arrêt des opérations. Le reste de la soirée, il n’y aura sans doute plus de visites de SOS Médecins dans le quartier… Trop dangereux. En fonction de la situation, « il y a des endroits où l’on n’intervient plus », confirme le Dr Philippe Paranque, président national de SOS Médecins, fédération qui rassemble 64 associations. De l’avis du généraliste de l’Essonne, la situation a commencé à empirer puis à basculer il y a une quinzaine d’années. Mais elle reste, paradoxalement, presque moins risquée, en termes de violence potentielle, que le quotidien que peuvent expérimenter de nombreux praticiens dans leur cabinet.
Population imprévisible
Dans l’Essonne, « en visite, il y a effectivement des zones qui restent difficiles d’accès pour les médecins, comme les Tarterêts (à Corbeil-Essonnes) ou la Grande Borne (à Grigny), mais pas plus qu’il y a quelques années », nuance le Dr Paranque, avec presque 30 années d’exercice au compteur dans le département. Ce qui a changé en trois décennies dans les cités et quartiers sensibles ? Les jeunes en charge des points de deal. « Avant, c’étaient toujours les mêmes qui étaient là, et en gros, ils savaient que c’était le docteur qui venait, explique le Dr Philippe Paranque. Aujourd’hui dans les halls d’immeubles ce sont des jeunes qu’on ne connaît pas et qui ne sont pas forcément de la cité. C’est une population tournante, parfois imprévisible » D’ailleurs, les patients eux-mêmes sont souvent désarçonnés. « Avant, ils nous disaient : “Attendez docteur, on descend vous chercher”. Mais maintenant, ils ne savent plus vraiment eux-mêmes qui est en bas de la cage d’escalier. »
Ce nouvel état de fait exige un véritable un savoir-faire des praticiens de SOS, qui doivent allier diplomatie, tact, doigté et fermeté quand la situation l’exige. « C’est une source d’indisposition permanente, surtout pour nos jeunes consœurs et confrères. Dans certains quartiers, on sait qu’on risque de se faire prendre à partie », résume le patron de l’association de généralistes urgentistes.
Pour autant, la situation des praticiens en visite est-elle plus exposée ou risquée que celle des confrères généralistes (affiliés à SOS ou non) qui accueillent les patients dans des points fixes ? Pas forcément. « La majorité des formes de violence y est différente », répond-il. En l’occurrence, « celle de l’impatience et de l’incivilité des patients qui sont dans un environnement de consultation ». De fait, toutes les enquêtes ordinales montrent que l’attente avant la prise en charge est un motif majeur des agressions contre les médecins.
Pour se prémunir des incivilités et agressions dans les cabinets fixes, l’association a mis sur pied une régulation téléphonique préalable des rendez-vous « qui nous protège un petit peu dans la salle d’attente ». Avec un résultat variable : en début d’année, l’antenne de SOS sur l’île de beauté a suspendu son activité pour protester contre les agressions que ses praticiens ont subies. En 2024, dans l’Yonne, l’antenne SOS d’Auxerre, confrontée à des menaces et injures récurrentes, dénonçait l’abandon des pouvoirs publics.
Pourtant, des mesures concrètes, sous forme de boîte à outils, avaient été mises sur la table dès septembre 2023. Présenté par l’ancienne ministre de la Santé, Agnès Firmin Le Bodo, le plan s’appuyait justement sur un rapport corédigé par… le Dr Jean-Christophe Masseron, ex-président de SOS Médecins. Il prévoyait en particulier la création d’un « délit d'outrage » spécifique applicable aux professionnels de santé libéraux - sur le même principe que le régime de protection pénale des agents du service public.
Aujourd’hui, les sanctions ne sont ni suffisamment constantes, ni assez significatives
Dr Philippe Paranque, président de SOS Médecins
Las, « aujourd’hui, les sanctions ne sont ni suffisamment constantes, ni assez significatives pour que cela puisse dissuader vraiment les patients qui se rendent au cabinet, estime le Dr Philippe Paranque. Si le message était très clair : “On ne touche pas à un professionnel de santé sans conséquence”, les patients seraient un peu plus acculturés à cette réalité ». Le jugement jugé trop clément dans l’affaire concernant son confrère, le Dr Mohamed Oulmekki, généraliste à Drancy très brutalement frappé en novembre dernier par un de ses patients, a laissé des traces dans la profession. Mi-février, son agresseur avait été condamné en première audience à trois mois de travaux d’intérêt général. Le Parquet a fait appel de la décision.
Le collectif du 12 mars appelle à des sanctions exemplaires dissuasives contre les auteurs de violences verbales et physiques à l’encontre des soignants, à l’élargissement du délit d’outrage et à une mobilisation nationale des parquets généraux pour garantir la sécurité des soignants, qu’ils exercent en ville, à l’hôpital, en pharmacie ou lors d’interventions à domicile.
Les structures de SOS Médecins resteront ouvertes ce mercredi afin d’assurer la continuité des soins. Mais l’association appelle ses médecins et partenaires à diffuser largement le message du collectif du 12 mars. SOS est le premier réseau d’urgence et de permanence de soins en France : 6,8 millions d’appels traités, 1,4 million de visites à domicile et 3,1 millions de consultations
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