Quelles sont les incidences du vieillissement de la population active sur les arrêts de travail ?
Dr Christian Expert : Avec l’âge et surtout chez les femmes, on constate une croissance exponentielle des troubles musculosquelettiques, qui représentent pas loin de 90 % des pathologies AT/MP (accidents du travail / maladies professionnelles). Le pic est à 58 ans. Au-delà de leur fréquence, leurs conséquences sur la santé s’aggravent. Ce que nous pensions s’est vérifié. En repoussant l’âge de la retraite, les économies générées sont neutralisées par la hausse des dépenses des AT/MP. On vide une poche pour en remplir une autre.
Quels sont les métiers les plus à risque pour les seniors ?
Dr C. E. Tous ceux avec des contraintes posturales et de manutention comme les professions du bâtiment, la métallurgie. Le secteur d’aide à la personne est également en pleine sinistralité à cause de TMS ou de risques psychosociaux (RPS). Pour les professions hospitalières au sens large, comme les aides-soignants, les auxiliaires de vie, le pic de l’invalidité se situe autour de 55-59 ans.
Quelles sont les autres pathologies des actifs vieillissants ?
Dr C. E. Les problèmes psychiques, qui incluent les risques psychosociaux, sont nombreux. Les seniors ont des soucis d’adaptation, notamment avec les outils émergents et les mises en compétition liées aux nouveaux modes de management. Ils traversent des conflits de valeur. Les plus de 50 ans sont à haut risque d’épuisement professionnel. Les jeunes ont un rapport au travail différent, plus « distancié », alors qu’il est très fort chez les seniors, ce qui les fragilise. C’est aussi un motif de départ et d’inaptitude.
Le report de l’âge de la retraite nécessitera-t-il une adaptation spécifique du travail des seniors ?
Dr C. E. La prévention de la désinsertion professionnelle, qui passe par l’aménagement et l’amélioration des conditions de travail, sera une priorité. La baisse de l’absentéisme des seniors actifs exige une meilleure ergonomie des postes de travail, car beaucoup de TMS sont liés à l’âge, comme les pathologies de l’épaule, première cause de maladie professionnelle et dont certaines sont à effet différé (tendinopathies de la coiffe des rotateurs). Cette prévention peut bénéficier à tout le monde, si on en fait l’économie, l’inaptitude et les invalidités vont continuer à croître.
La médecine du travail est-elle assez associée aux réflexions en cours sur l’âge de la retraite ?
Dr C. E. La réflexion autour des retraites est complètement dissociée des conditions de travail. Il y a une vision comptable des choses. La question de la pénibilité est au cœur du débat, mais nous avons vu qu’elle ne plaît pas trop aux employeurs. En revanche, même s’il est dissocié de la retraite, l’enjeu de la désinsertion professionnelle est identifié par tous et réunit le ministère du Travail et de la Santé qui souhaitent la prévenir. Nous sommes étroitement associés à cela, mais aujourd’hui on parle davantage de prévention secondaire ou tertiaire. Sur la prévention primaire, cela peine à bouger. C’est pourtant le seul moyen d’arriver à résoudre l’équation : allongement de la durée du travail et bonne santé. Il ne suffit pas de vieillir, ce qui compte c’est l’espérance de vie en bonne santé. n
* Médecin du travail, vice-président de la commission AT/MP de la Cnam et vice-président du syndicat CFE-CGC Santé au travail
Dr Christian Expert* : « L’enjeu est d’améliorer l’ergonomie des postes »
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