Le Généraliste : Une vingtaine de généralistes en activité ont perdu la vie en luttant contre le Covid-19. Que vous inspire cette perte ?
Dr Patrick Bouet : J’éprouve un sentiment de tristesse infinie. J'estime que ces médecins sont des victimes. Victimes de la passion de leur métier car ils ont entièrement assumé leurs responsabilités mais aussi victimes de ne pas avoir été complètement accompagnés, protégés, comme ils auraient dû l’être.
On entend votre tristesse mais aussi votre colère ?
Dr P. B. : Oui, beaucoup de colère. S’incliner devant des médecins victimes de leur activité est toujours un moment difficile. Le président de l’Ordre des médecins ne peut qu’être en colère quand il voit le nombre de confrères décédés (une quarantaine, NDLR) et le nombre de ceux touchés par la maladie (plus de 6 000 selon la Carmf, NDLR). Au plus fort de l'épidémie, il a fallu que les médecins luttent pour avoir des masques. Nous aurons besoin d’avoir des explications lorsque ce temps sera venu.
Des actions en justice contre l'État ont été engagées ou vont l’être par des médecins ou leur entourage. Seriez-vous prêts à vous y associer ?
Dr P. B. : Je ne peux pas décider pour l’Ordre car cette question n’a pas encore été débattue. Les pouvoirs publics vont être amenés à rendre des comptes lors d'enquêtes parlementaires. Nous verrons leurs explications. Une chose est sûre, nous ne resterons pas spectateurs à regarder les choses se passer. Si pour avoir des explications, il faut passer par des procédures, alors nous passerons par des procédures.
Avez-vous le souvenir d’une épidémie aussi meurtrière pour la profession ?
Dr P. B. : Non, j’ai vu des médecins ou des infirmiers décéder car ils avaient été contaminés, victimes d’accidents ou d’épisode de guerre mais nous n’avions jamais vécu des pertes d'une telle intensité. Peut-être y en a-t-il eu à d’autres époques mais dans les temps modernes nous n’avions jamais été confrontés collectivement à un tel nombre de victimes.
Parmi les médecins généralistes que nous avons identifiés, presque tous étaient des hommes de plus de 60 ans, qui exerçaient la médecine de famille à l’ancienne.
Dr P. B. : Ces victimes ont été touchées car leur activité de médecin de famille, au contact des patients, que ce soit dans leur cabinet ou lors de visites à domicile, les a particulièrement exposées. Que l'épidémie ait emporté une majorité d’hommes âgés n’est pas surprenant car sur le plan démographique, cette génération est majoritairement masculine.
Indépendamment de la perte de leurs confrères, beaucoup de médecins ont été touchés dans leur chair. Cela va-t-il entraîner un traumatisme pour la profession ou avoir une incidence sur leur façon d’appréhender leur métier à l’avenir ?
Dr P. B. : Cette épidémie est effectivement un traumatisme. Beaucoup de médecins ont été contaminés – je fais partie de cette cohorte – et le monde médical dans son ensemble est traumatisé car il a eu un sentiment de relative impuissance dans l’action qu’il a menée. Les médecins ont eu peur, non pas pour eux-mêmes mais pour les autres, et pour le danger de contamination qu'ils représentaient. Cette épidémie a rappelé les risques de notre métier et que même au 21e siècle, un médecin peut être victime de son devoir. Elle laissera des traces importantes chez les confrères en activité et plus encore chez tous ces étudiants et internes, les médecins de demain, qui y ont été confrontés. Cette crise entraînera aussi une défiance vis-à-vis des pouvoirs publics qui n’a pas été capable de les accompagner. Il y aura un avant et un après Covid pour le monde médical. Et nous aurons sans doute à affronter un stress post-traumatique non négligeable.
L'Ordre a-t-il prévu de rendre un hommage particulier à tous les médecins morts du Covid-19 ?
Dr P. B. : Oui. De la même manière que nous avions rendu hommage à nos confrères décédés lors des attentats de 2015, nous avons prévu d’organiser, quand la situation le permettra, un mémorial ordinal au siège du Conseil national de l’Ordre. Nous sommes proches des familles des victimes et nous rendrons honneur à nos confrères pour leur sacrifice.
Article précédent
Qui sont les généralistes emportés par le Covid-19 ?
François Hollande : « Nous ne devrons pas oublier ce qu’ont fait les généralistes durant cette crise »
Qui sont les généralistes emportés par le Covid-19 ?
Dr Patrick Bouet, président de l'Ordre des médecins : « Cette épidémie restera un traumatisme »
Jusqu’à quatre fois plus d’antibiotiques prescrits quand le patient est demandeur
Face au casse-tête des déplacements, les médecins franciliens s’adaptent
« Des endroits où on n’intervient plus » : l’alerte de SOS Médecins à la veille de la mobilisation contre les violences
Renoncement aux soins : une femme sur deux sacrifie son suivi gynécologique