Cette fois, la menace se rapproche et ce n’est pas un poisson d’avril. Face aux graves difficultés d’accès aux soins des Français, la volonté politique de réguler l’installation des médecins s’apprête à faire son grand retour dans l’Hémicycle, avec des soutiens nombreux et variés.
Désormais soutenue par « 258 députés issus de neuf groupes parlementaires », la proposition de loi (PPL) transpartisane visant à lutter contre les déserts médicaux, a été « enfin » inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée, se félicite l’artisan tenace de cette offensive, le député socialiste mayennais Guillaume Garot.
Son texte sera donc discuté en séance publique dans la semaine du 31 mars au 4 avril 2025. Contrairement à la version présentée en novembre dernier, la PPL est beaucoup plus courte ne contenant que quatre articles au lieu de 16 initialement prévus. Mais à bien y regarder, ce texte est tout aussi directif puisqu’y figurent deux mesures qui risquent de provoquer un tollé médical.
L’article 1 traduit la volonté du groupe transpartisan de réguler la liberté d’installation. Il propose en effet de « flécher l’installation des médecins, généralistes et spécialistes, vers les zones où l’offre de soins est insuffisante ». Il crée à cet effet « une autorisation d’installation des médecins délivrée par l’ARS », sorte de visa préalable exigé. Ce feu vert serait acquis « de plein droit » pour toute nouvelle installation dans les zones déficitaires. En revanche, dans les secteurs où l’offre de soins est « au moins suffisante », l’autorisation ne serait délivrée que « si l’installation fait suite à la cessation d’activité d’un praticien de la même spécialité sur ce territoire ».
« Il s’agit d’un premier pas dans la régulation à l’installation des médecins qui permettra de stopper la progression des inégalités entre territoires », assume l’exposé des motifs. Pour les signataires de la PPL en effet, « les politiques d’incitation dans les zones sous-dotées restent nécessaires mais elles ne répondent pas à l’urgence de la situation ».
Gardes : la fin du volontariat ?
Une autre mesure extrêmement clivante figure dans cette PPL, à savoir le retour de l’obligation de permanence des soins (PDSA), plus de 20 ans après le principe du volontariat acquis de haute lutte par les médecins libéraux. Pour justifier le retour des gardes obligatoires, les signataires soulignent que « seuls 38,1 % des médecins ont participé à la PDSA en 2019, ce chiffre baissant au fil des ans ». L’exposé des motifs mentionne un « désengagement des médecins libéraux », reprenant une formule utilisée par l’Ordre à la faveur d’un rapport sur le sujet. Tout en oubliant de mentionner que la quasi-totalité des territoires sont couverts par les tours de garde…
Outre ces deux dispositions contraignantes, la PPL suggère « qu’une formation a minima de première année en études de médecine puisse être proposée dans chaque département » pour renforcer l’égalité des chances. Et elle supprime par ailleurs la majoration des tarifs à l’encontre des patients non pourvus d’un médecin traitant (qui se retrouvent hors parcours de soins de façon subie).
Auditionné par le groupe transpartisan début mars, le syndicat MG France met en garde les parlementaires contre « toute contrainte supplémentaire sur un métier déjà peu attractif ». « Si on rajoute une demande obligatoire à l'ARS pour avoir le droit de visser sa plaque, les médecins vont aller vers la médecine salariée ou celle de niche ! Cela va entraîner une baisse des effectifs de médecins généralistes traitants », se désole le Dr Jean-Christophe Nogrette. « Réguler une pénurie, ce n'est pas possible », illustre le secrétaire général adjoint du syndicat.
« Réguler une pénurie, ce n'est pas possible ! »
Dr Jean-Christophe Nogrette, secrétaire général adjoint de MG France
Du côté des Généralistes-CSMF, on dénonce « une attaque frontale » contre la médecine générale libérale. « Cela ne sert à rien d'attenter à la liberté d'installation car c’est trop tard. Il n’y a pas de zones surdotées ! Par ailleurs, la permanence des soins fonctionne aujourd’hui. 96 % des territoires sont couverts. À moins de vouloir payer des médecins à ne rien faire », grince le Dr Luc Duquesnel, président de la branche généraliste de la CSMF. Dans la profession, on redoute déjà d’autres mesures contraignantes, qui pourraient être ajoutées par amendement comme la limitation de la durée de remplacement et la suppression du secteur 2.
Le débat s’annonce très vif, y compris au sein de l’Assemblée nationale. Dans un message sur X (ex-Twitter), la députée de la majorité et rhumatologue Stéphanie Rist se positionne résolument contre ce texte, y voyant une recette pour signer la mort de la médecine de ville.
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