La menace d’un retour des gardes obligatoires en ville pour soulager les urgences la nuit et le week-end va-t-elle raviver les tensions entre le gouvernement et les médecins libéraux ? Lors de son discours de politique générale, mardi 30 janvier, Gabriel Attal a en tout cas agité le spectre de la contrainte devant un hémicycle agité. Pour garantir l’accès aux soins de tous les Français, l’obligation de permanence des soins pourrait ainsi être rétablie « pour les médecins libéraux en soirée, le week-end, dans leur cabinet ou en maison de santé, dans les départements où il n’y aurait toujours pas de services d’accès aux soins [SAS] et de réponse cet été ». Une pierre dans le jardin des libéraux qui ont acquis de haute lutte le principe du volontariat au début des années 2000.
La menace est d’autant plus réelle que la plateforme universelle du SAS (censée garantir une réponse rapide et proportionnée aux demandes de soins non programmés et aux urgences) n’est toujours pas opérationnelle partout, loin s’en faut. Annoncé en 2017, ce SAS, vanté comme l’antidote à l’engorgement des urgences, peine à se généraliser fin 2023 comme l’avait pourtant annoncé l’ancien ministre de la Santé, François Braun. Aujourd’hui, il existe 60 centres SAS répertoriés alors qu’il en faudrait une centaine, admet le ministère.
Nous crevons de ne pas avoir de médecins qui s’installent en ville et là le gouvernement veut mettre des contraintes
Dr Franck Devulder, président de la CSMF
Après plusieurs initiatives parlementaires vaines pour imposer la fin du volontariat, ce énième coup de pression, venant cette fois de Matignon, a aussitôt crispé, voire braqué, les représentants des médecins libéraux. Le Dr Franck Devulder, président de la CSMF, se dit « furieux ». « Nous crevons de ne pas avoir de médecins qui s’installent en ville et là le gouvernement veut mettre des contraintes à ceux qui veulent poser leur plaque. C’est une grave maladresse qui risque de rendre les négociations plus tendues ». Le gastroentérologue de Reims dénonce la « méconnaissance » des conseillers du Premier ministre qui confondraient aussi deux dispositifs : le service d’accès aux soins organisé pour prendre en charge les patients en journée (consultations imprévues) et la permanence des soins ambulatoire (PDS-A) qui couvre les créneaux de soirée, de nuit et de week-end. Car dans ce second domaine, « les médecins font le job », affirment en chœur les syndicats de médecins, en s’appuyant sur le dernier bilan annuel de l’Ordre national des médecins.
95 % du territoire couvert
Dans cette étude qui date de 2022, le Cnom révèle que les organisations locales de PDS-A permettent de couvrir 95 % des territoires en semaine et 95 % en week-end, même si le volontariat des généralistes s’érode. « En mettant en avant le retour obligatoire des gardes, Gabriel Attal va décourager l’installation des jeunes et faire fuir les 12 500 retraités actifs qui participent aux gardes », se désole la Dr Sophie Bauer, présidente du SML.
Pour la présidente de MG France, la Dr Agnès Giannotti, l’organisation d’un SAS reste « complexe » et « lourde » avec « un cahier des charges compliqué entre le Samu et la ville ». Bref, « ce n’est pas la faute des médecins », ajoute la généraliste parisienne pour qui l’exécutif se trompe de combat. « Pour améliorer l’accès aux soins, il faut d’abord trouver un médecin traitant aux Français qui n’en ont pas et, pour cela, il faut rendre attractive la médecine générale », insiste-t-elle. Dans un post publié sur X (anciennement Twitter), le Dr Jérôme Marty, patron de l’UFML-Syndicat, ne cache pas son exaspération et revendique de son côté des « repos compensateurs » ad hoc – dont ne bénéficient pas les médecins libéraux après une nuit de garde.
Interrogé par Le Quotidien sur cette affaire de gardes obligatoires, le Dr François Arnault, président de l’Ordre national des médecins, renvoie plutôt… aux déclarations plus conciliantes d’Emmanuel Macron. « Le président de la République a écarté toute solution de coercition et nous nous en réjouissons en confirmant les conséquences que cela peut engendrer ».
La FHF salue l’obligation de résultat
La Fédération hospitalière de France (FHF) présidée par Arnaud Robinet considère de son côté comme « une bonne nouvelle » la volonté du Premier ministre de mettre en place une « obligation de résultat » vis-à-vis des patients, et ce pour l’ensemble des acteurs de santé impliqués dans la permanence des soins pour les territoires. Face à la saturation des urgences, le lobby hospitalier a souvent prôné le retour à une obligation de gardes dans le secteur libéral, regrettant le désengagement de la médecine de ville et des cliniques dans ce domaine. Son ancien président, Frédéric Valletoux, devenu député Horizons, avait tenté de l’imposer dans sa proposition de loi (PPL) initiale « pour améliorer l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels ». Mais l’élu a dû faire machine marche arrière, après un tollé des syndicats de médecins libéraux, la loi ayant abouti à une formulation plus souple sur la participation du privé.
Alors que le SAS a pris beaucoup de retard, la polémique sur les gardes aura valeur de test pour Ségur. Comment Catherine Vautrin, ministre du Travail et de la Santé, peut-elle mettre à exécution un projet aussi clivant, sans mécontenter les libéraux en pleine négociation conventionnelle ? Le Dr Devulder (CSMF) prévient : « On jugera la majorité sur les faits ».
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