« Ingrats corporatistes », les médecins ? La liberté d'installation attaquée à l'Assemblée, carabins et internes s'insurgent

Par
Publié le 12/03/2019
loi santé

loi santé
Crédit photo : S. Toubon

Trois mois après le rejet de la proposition de loi du député socialiste Guillaume Garot, instaurant le conventionnement sélectif territorial, plusieurs députés de la commission des Affaires sociales remettent le sujet sur le tapis. Profitant de l'examen entamé ce mardi du projet de loi de santé,  les élus ont déposé une série d'amendements restreignant la liberté d'installation, l'un des trois piliers de la médecine libérale.

Huit amendements reprennent l'idée du conventionnement sélectif territorial. Pour lutter contre la désertification médicale, ce dispositif consiste à limiter les installations de nouveaux praticiens libéraux dans les zones surdotées en matière d'offre de soins (définies par l'agence régionale de santé avec les syndicats), sur le principe d'un départ pour une arrivée. Si cette mesure est soutenue une nouvelle fois par les groupes politiques appartenant à l'opposition (PS, Gauche démocratique et républicaine, La France insoumise), 29 députés de la République en marche se sont aussi engouffrés dans la brèche pour déposer des amendements dans ce sens.

« Face à l'urgence de la situation, les pouvoirs publics doivent agir et défendre les principes d'égalité et d'unité territoriale de la République […]. C'est pourquoi cet amendement propose de réguler par la loi, l'installation des médecins libéraux comme cela se fait déjà pour d'autres professionnels de santé », précise l'amendement déposé par huit députés LREM (Yves Daniel, Patrick Vignal, Olivier Damaisin, Sébastien Cazenove, Eric Girardin, Sandrine Josso, Jean-François Cesarini et Alexandre Freschi).

Un autre amendement qui met à mal la liberté d'installation est soutenu par des députés du groupe MoDem. Il vise à rendre l'obligatoire l'exercice en zone sous dense pendant la première année d'exercice tant pour les médecins généralistes que spécialistes. « Par la contrainte d'installation d'une année en zone sous-dense, les médecins – très souvent non issus de ces zones – pourront découvrir ces régions », veulent croire les élus.

Face à cette offensive parlementaire, le Dr Thomas Mesnier, député de Charente et rapporteur général du projet de loi « repousser[a] toute mesure coercitive à l'installation », a-t-il indiqué au « Quotidien ». « C'est une fausse bonne idée, contre-productive et potentiellement créatrice d'une médecine à deux vitesses ». Le gouvernement devrait être sur la même ligne, Agnès Buzyn l'ayant répété à de multiples reprises : la coercition est une « mesure simpliste, une fausse bonne idée ».

Ingratitude

Cette position suffira-t-elle à rassurer les futurs médecins ? Aussitôt les amendements connus, l'Association des étudiants en médecine de France (ANEMF) est montée au créneau pour dénoncer les propositions de coercition sous toutes ses formes. « Si celles-ci venaient à être adoptées, l'ANEMF organisera une mobilisation », écrit l'association.

Sur les réseaux sociaux, c'est surtout l'exposé de l'amendement du groupe La France insoumise qui a soulevé de vives réactions. Le groupe politique propose de conditionner le conventionnement des médecins au niveau de densité des territoires. Et argumente ainsi: « la liberté d’installation totale dont jouissent les professionnels de santé exerçant en ville les mènent naturellement à privilégier leur confort de vie présumé sur leur mission de service public. […] Cette liberté d'installation constitue une forme d'ingratitude corporatiste envers la collectivité. »

Dans un document en ligne intitulé « lettre d'un ingrat corporatiste », un interne en médecine générale a longuement expliqué que « la coercition n'est pas une solution ». « C'est au mieux un mirage, au pire une politique ingrate de politiciens privilégiant leurs perspectives électorales sur les besoins en santé de pauvres gens qu'ils méprisent. Je ne suis pas politicien. Je suis médecin en formation. Mon métier, c'est prendre soin. Et je ne sais pas soigner avec les mains liées », a-t-il indiqué.

Avant la discussion du projet de loi, cet amendement a été finalement retiré. Peu importe, le mal est fait. « Il semblerait que ce texte ait été retiré car "comportant des erreurs". Il m’arrive rarement de traiter qui que ce soit d’ingrat corporatiste par erreur. Et c’est bien dommage si les députés à l’origine ne sont pas suffisamment informés des réalités de la situation », a conclu l'interne dans sa lettre. 


Source : lequotidiendumedecin.fr