« Les migrants ne fréquentent pas mon cabinet, constate comme la plupart de ses confrères le Dr Vincent Grasset, installé depuis 30 ans à Grande Synthe, commune de 25 000 habitants où stationnent depuis deux mois près de 3 000 réfugiés. Ils vont à l’hôpital, ou sont suivis par les associations, MDM ou MSF. On les voit se promener en groupes, sans phénomènes de violence, à la différence des loubards du secteur. Ils vivent dans la boue et les détritus, sous les fourrées, dans des conditions affreuses, d’un autre âge. C’est une honte pour la France de les traiter ainsi, alors que des pays sans ressources comme la Jordanie leurs fournissent des conditions sanitaires décentes. »
« Les patients réagissent diversement, entre solidarité et racisme, assistance et rejet, observe le Dr Gaëtan Dehoupe, 63 ans, généraliste à Dunkerque, non loin du secteur de la Hutte où s’est installé le campement sauvage, qui soigne beaucoup d’émigrés roumains. Ceux-ci sont arrivés ici dès 2008 et, à la différence des réfugiés, ils sont plutôt bien intégrés, ont des petits boulots, des logements et souvent une carte vitale. Les rares réfugiés qui viennent me consulter souffrent de rachitisme, d’anémies ferriprives, de diabète. »
Des rumeurs tenaces
Mais ce sont d’autres pathologies qui inquiètent les habitants. « Je ne dirai pas qu’il y a des psychoses, remarque le Dr François Leulliette, généraliste à Grande Synthe, mais beaucoup de gens s’inquiètent au sujet de la gale. Ils craignent de l’attraper en prenant l’autobus. Or, ces parasitoses étaient observées bien avant l’arrivée des migrants. Et il n’y a pas de recrudescence particulière. »
D’autres rumeurs circulent. « Les gens demandent à faire vacciner leurs bébés contre la tuberculose, note le Dr François-René Knockaert, installé à Calais, non loin du tunnel. Ils craignent la contagion en allant à la piscine, où se rendent aussi des migrants. Le problème, pour les rassurer, c’est que nous ne disposons d’aucune donnée épidémiologique. J’ai dû envoyer cinq mails à l’ARS, pour finir par obtenir une réponse officielle : il n’y a pas lieu de vacciner davantage chez nous que dans l’ensemble du département. »
Mais les rumeurs sont tenaces, mêlant le vrai et le faux. La rougeole circulerait, ce qui est confirmé. Ebola est aussi évoqué. « J’ai beau expliquer que si des réfugiés d’Afrique avaient été touchés, ils seraient morts avant d’arriver en Europe, les esprits sont échauffés », témoigne encore le Dr Knockaert, qui déplore de ne pas être mieux informé pour pouvoir couper court aux phantasmes. « L’hôpital est aussi visé par les rumeurs, note-t-il, les patients ne veulent plus s’y rendre, ils expliquent que les migrants y sont devenus prioritaires. À la longue, des habitants craquent, ils déménagent. »
Certains dévissent leur plaque
« Certains quittent carrément le navire, confirme le Dr Patrick Teilhet, 61 ans, généraliste à Grande Synthe, en abandonnant des maisons qui sont devenues invendables. Un couple d’infirmier a plié bagages le mois dernier. Outre le coût économique et social, le coût sanitaire est lourd pour notre secteur. »
« Le mois dernier, pas moins de sept généralistes ont dévissé leur plaque dans un rayon de 500 mètres autour de chez moi, s’émeut le Dr Dehoupe, évidemment sans être remplacés. C’est de plus en plus dur pour ceux qui restent et à ce rythme, il n’y aura plus ici aucun médecin dans dix ans. »
Les généralistes s’emploient à apaiser les esprits. « J’ai parfois l’impression de vivre quelque chose comme la grande peur qu’on a connue pendant la Révolution, poursuit le Dr Dehoupe. En même temps, on est bien obligé de constater qu’une vraie question de santé publique est actuellement posée autour des réfugiés : ils vivent à 3 000, entassés sur une surface grande comme trois terrains de football, dans une précarité totale, sur le terreau de la misère. Objectivement, toutes les conditions sont réunies pour la propagation des épidémies. »
« Les pouvoirs publics sont débordés, à l’échelon local comme national, estime le Dr Grasset. Les ministres viennent voir et repartent. Heureusement, les associations se démènent. Le camp MSF représente sans doute la moins mauvaise solution. » Cependant « la seule vraie solution, relève le Dr Dehoupe, consisterait à arrêter la guerre en Syrie dans les pays limitrophes. »
D’ici là, la guerre des gangs sévit (comme la semaine dernière, où les kalachnikovs ont tiré à Grande Synthe), les passeurs rackettent les réfugiés, pour recharger leurs portables ou donner accès à une douche.
Certains, comme le Dr Xavier Paillard, généraliste à Grande Synthe, renforcent les équipes de Médecins du Monde : « Avec une ambulance, nous patrouillons dans les rues et donnons des petits soins sur place, ou conduisons les cas plus sérieux à la PASS de l’hôpital. »
Les autres, de moins en moins nombreux et dans des conditions dégradées, continuent à faire leur métier, au risque, lâche le Dr Dehoupe, de « devenir des dinosaures. »
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