Un médecin peut-il reprocher à une patiente d'être voilée ? C'est ce que la chambre disciplinaire de première instance de l'Ordre régional des médecins de Rhône-Alpes aura à trancher le 12 mai prochain.
L'affaire se déroule en juin 2015. Une femme voilée se rend chez son généraliste en Isère pour une consultation. En l'absence de ce dernier, elle est reçue par une remplaçante à qui elle se plaint d'une tension trop basse. « La femme médecin semblait un peu pressée, confie la patiente au site Buzzfeed qui a révélé l'affaire. Elle m'a pris la tension sans relever ma manche et ne m'a pas examinée davantage. »
La généraliste lui rédige alors une prescription d'Hept A Myl, mais la patiente lui indique être intolérante à ce traitement. Au « Quotidien », elle assure avoir demandé à la généraliste un autre médicament, qu'elle tolère mieux. « La généraliste m’a alors proposé un traitement supplémentaire pour que la prise d’Hept A Myl ne me donne pas de tachycardie, continue la patiente. J’ai refusé, et cherché, sans trouver, le nom du médicament que me donne habituellement mon médecin, et qui ne me provoque pas d'effets secondaires. »
Ordonnance déchirée, consultation interrompue
Voyant cela, la généraliste lui aurait dit : « Quand vous vous en souviendrez, vous reviendrez me voir. Ça fait 23 euros. » La consultation dégénère. Le praticien aurait déchiré l'ordonnance, et indiqué à la patiente qu'elle ne voulait pas recevoir de femmes voilées dans son cabinet. La patiente sort alors son téléphone portable et filme la scène.
Dans les extraits de la vidéo, on voit clairement la généraliste, floutée, accepter d'être filmée. Elle ajoute qu'elle souhaite que leur différend soit médiatisé « parce que je ne veux plus de femmes voilées en France ». Elle assure que la législation française interdit le port du voile,et conclut : « Vous êtes un scandale pour toutes les femmes. Si j'étais installée, ce serait marqué sur ma porte » (qu'elle ne veut pas femmes voilées dans son cabinet). La patiente, très remontée, lui fait remarquer que, quelque temps auparavant, elle avait déjà « bâclé en deux minutes » une consultation pour son fils. « Oui, c'est probable, sûrement », répond la généraliste.
La patiente a porté plainte devant la justice. Mais le 4 novembre 2015, le parquet de Chambéry a décidé de classer l'affaire sans suite. Parallèlement, elle a porté l'affaire devant la chambre disciplinaire ordinale. « Le Quotidien » a joint l'avocat de la généraliste. Cette dernière n'a pas souhaité témoigner, mais nous a transmis le courrier qu'elle a adressé, pour sa défense, à l'Ordre départemental de l'Isère.
Atmosphère délétère
Dans cette lettre, le praticien décrit une patiente « voilée de noir et portant une grande robe informe », avec une attitude « extrêmement agressive ». Son comportement, précise-t-elle, lui a même fait craindre « qu'elle n'appartienne à une mouvance terroriste ». Elle regrette que les gendarmes, appelés au téléphone, ne se soient pas déplacés : « J'aurais exigé qu'un prélèvement de sang soit effectué, écrit-elle, pour rechercher la présence d'alcool ou de toxiques. » Elle rappelle enfin que quelques jours après, le 26 juin, un chef d'entreprise de la région a été décapité « par un de ses employés, musulman, mécontent d'avoir été réprimandé, illustrant ainsi l'atmosphère délétère de cette région ».
L'intéressée ne souhaite pas relever les propos de la généraliste, mais dément formellement auprès du « Quotidien » les précisions relatives à sa tenue vestimentaire. Selon elle, elle était vêtue d'un jeans, d'une chemise noire, et d'un foulard rose sur un bandeau noir dans ses cheveux. Des détails vestimentaires qu'on peut d'ailleurs observer brièvement sur une autre vidéo de l'incident. La patiente assure également avoir quitté son foulard en entrant dans le cabinet, « comme je le fais à chaque fois que je vais voir le médecin ».
Échec de la conciliation
« Il ne fait pas de doute que le traitement rapide dont a fait preuve le médecin, ainsi que ses manquements en termes d'écoute et de conseil, ont été volontairement mis en œuvre pour des raisons personnelles ayant trait au fait que je suis voilée », indique la patiente dans un courrier adressé à l'Ordre départemental.
Le Dr Pascal Jallon, président de l'Ordre des médecins de l'Isère, a indiqué à Buzzfeed n'avoir vu qu'une partie de la vidéo. « On a refusé de regarder la suite, ajoute-t-il. Nous n’avons pas retenu le caractère discriminatoire des propos. Nous avons tenté une conciliation mais comme elle était impossible, c’est à la chambre disciplinaire régionale de trancher ». Réponse sous quinze jours.
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