IL Y A 10 JOURS se tenait à Troyes (Aube) le nouveau procès du Dr Pierre Goubeau, médecin généraliste exerçant en Champagne-Ardenne poursuivi devant les tribunaux par un patient atteint d’un cancer de la prostate qui lui reproche d’avoir prescrit trop tardivement un dosage PSA pour dépister sa maladie. La consultation d’un rapport médical d’expertise judiciaire demandé par le tribunal de grande instance de Troyes en mai 2008 permet de retracer les grandes lignes de cette affaire.
Tout a commencé en 2003, lorsque le Dr Goubeau reçoit les résultats d’examens médicaux proposés initialement par la CPAM à son patient alors âgé de 53 ans. L’examen met ainsi en évidence par ordre de gravité : une tension artérielle élevée, un facteur de risque familial de cancer colique, des apnées du sommeil, des troubles urinaires et un déficit auditif. Le compte-rendu d’examen fait également état d’une « prostate légèrement augmentée au toucher rectal ». Le Dr Goubeau adresse notamment son patient à un spécialiste gastro-entérologue pour réaliser une endoscopie digestive haute avec biopsies ainsi qu’à un cardiologue pour un électrocardiogramme qui donnera lieu à un traitement de l’hypertension.
Entre 2003 et 2007, le patient se serait plaint à plusieurs reprises au Dr Goubeau de modifications urinaires avec des mictions plus nombreuses et impérieuses y compris nocturnes, imputées aux effets secondaires de son traitement de l’hypertension.
Rapport final d’expertise.
Puis en juillet 2007, une symptomatologie nouvelle apparaît puisque le patient se plaint de troubles urinaires encore plus importants et de douleurs osseuses au niveau du bassin. Le Dr Goubeau, prescrit alors des examens biologiques incluant un dosage PSA et un toucher rectal. Selon le rapport d’expertise l’examen révèle un taux de PSA élevé, de l’ordre de 26,90 ng/ml. Le patient est ensuite adressé à un urologue avant d’être hospitalisé pour subir d’autres examens qui révéleront l’existence d’un cancer de la prostate.
D’après le rapport final d’expertise, « l’absence de prescription de dépistage du cancer prostatique par dosage PSA par le Dr Goubeau peut être considérée comme fautive eu égard au consensus concernant ce dépistage à cette époque », en 2003. Pour les experts médicaux, ce retard de diagnostic « n’a pas permis la réalisation d’une chirurgie radicale car le cancer a été dépisté à un stade trop avancé », engendrant une perte de chance et davantage de traitements lourds (hormonothérapie, chimiothérapie, radiothérapie). Jugé une première fois au tribunal de Grande instance de Troyes, le Dr Goubeau avait été condamné en 2009 à payer à ce patient la somme de 15 000 euros « au titre de provision à valoir sur les dommages et intérêts »,le jugement ayant ensuite été confirmé en mai 2010 par le Cour d’appel de Reims. Dans sa décision la Cours souligne que « si le dépistage de masse par dosage du PSA n’était pas recommandé au moment des faits, le dépistage de la prostate n’était pas interdit ». Dès lors, poursuit-elle, « il importe peu que les anomalies urinaires relevées chez son patient lors du bilan de santé puissent ou non à elles seules être considérées à l’époque comme évocatrices d’un cancer de la prostate puisqu’il s’agissait déjà d’une hypertrophie prostatique débutante accompagnée de troubles mictionnels ». Une « situation individuelle qui méritait une investigation par dosage PSA dans les premières années suivant ce bilan de santé », mentionne la décision.
Pràcès sur le fond.
Jugé une nouvelle fois à Troyes dans le cadre d’un procès sur le fond, il y a 10 jours, le Dr Goubeau a une nouvelle fois mis en avant son strict respect des recommandations en matière de dépistage du cancer de la prostate par dosage PSA. Au cours de cette dernière audience, son avocate a notamment remis en cause la légitimé du dossier d’expertise co-signé par un certain Dr Jean-Pierre Giolitto, récemment radié à vie par le Conseil national de l’Ordre des médecins pour faute lourde. Vice-président du syndicat MG-France, le Dr Bruno Deloffre a suivi ce dernier procès troyen de près. « Pour le médecin généraliste, les seuls signes cliniques chez ce patient - c’est-à-dire une prostate augmentée de volume au toucher rectal et des mictions nocturnes - relevaient d’une symptomatologie qui ne donnait absolument pas lieu à une recherche d’un cancer de la prostate », estime-t-il. « On est ici dans un procès qui dépasse largement le cadre du médecin généraliste. On est sur le procès des recommandations », déclare le Dr Deloffre. « Si ce médecin est condamné, cela voudrait dire clairement que les recommandations n’ont absolument aucune valeur », considère le vice-président de MG-France.
Appréciation de la faute.
Si les recommandations de santé publique s’avèrent opposables aux médecins, « dans cette affaire-là, c’est un peu plus compliqué parce que justement il n’y avait pas de recommandations », commente Jean-René Binet, professeur de droit Privé et directeur du centre de recherche juridique de l’université de Franche-Comté. « Ce qui compte pour l’appréciation de la faute technique du médecin, c’est le respect des données acquises de la science. Ici, le médecin mis en cause - ou en tout cas son conseil - tente d’échapper à la responsabilité en mettant en avant l’absence de recommandations en faveur d’un diagnostic du cancer de la prostate par dosage PSA au moment de son intervention sur le patient qui était donc selon lui conforme aux données acquises de la science », expose Jean-René Binet.
« Certes, il n’y avait pas de recommandations et ce médecin ne pouvait pas en inventer une. D’autre part, il est médecin généraliste et ne peut être soumis au même degré d’exigence qu’un urologue dans ce cas d’espèce. Toutefois, à la lecture de l’arrêt rendu par le Cours d’appel de Reims le 17 mai 2010, d’après cette décision le tableau symptomatique de ce patient aurait dû conduire le médecin à réaliser un diagnostic plus poussé, notamment par dosage PSA », poursuit-il.
« Au-delà de ce cas d’espèce, quand il y a un tableau symptomatique qui évoque une pathologie connue, il semble évident que le médecin doit investiguer pour écarter l’hypothèse de l’existence de cette pathologie. Et là, le fait qu’il y ait ou pas une recommandation d’une autorité de santé ne change rien à l’affaire ».
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