Des jurys populaires en correctionnelle

RCP, indemnisations : médecins et avocats redoutent une dérive à l’américaine

Publié le 25/01/2011
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Crédit photo : AFP

NICOLAS Sarkozy veut, avec les jurys populaires, « rapprocher le peuple des magistrats ». Son idée crée la controverse. Les opposants y voient une défiance de l’exécutif vis-à-vis des magistrats. « L’objectif, clairement, c’est d’alourdir les peines », décrypte cet avocat.

Les médecins doivent-ils s’en inquiéter ? Les affaires pénales mettant en cause leur responsabilité ne sont pas courantes. Le Sou médical recense une quarantaine de jugements pénaux par an. Six fois sur dix, le médecin est condamné. À de la prison avec sursis, souvent. À une interdiction d’exercer ou une amende, plus rarement. Les dommages et intérêts à verser à la victime, en revanche, sont systématiques lorsqu’un médecin libéral est condamné. Les jurys populaires, s’ils viennent épauler les juges, changeront-ils la donne ? Le Dr Philippe Cuq, président de l’UCDF (chirurgiens), avoue n’avoir pas réfléchi à la question. « Notre préoccupation immédiate, c’est le coût de l’assurance, les trous de garantie, et la qualité inégale des expertises. Ce serait marcher sur la tête que de mettre en place les jurys populaires avant de régler ces problèmes », dit-il. Le Dr Jean Marty, secrétaire général du SYNGOF (gynéco-obstétriciens), confirme : « La loterie des expertises judiciaires doit cesser : leur qualité doit être irréprochable. Sinon, avec les jurés populaires, on court à la catastrophe ».

Spécialités inassurables.

Aux États-Unis, la Constitution donne le droit à tout citoyen d’exiger un jury populaire au civil et au pénal. « Ce jury populaire est chargé d’évaluer le préjudice, expose Olivier Moréteau, directeur du centre de droit civil de l’Université d’État de Louisiane. Comme il s’identifie à la victime d’accident médical, le jury a tendance à accorder des sommes pharaoniques ». Tout concourt à la flambée des peines infligées aux médecins. Outre-Atlantique, l’avocat de la victimeperçoit 30 % des indemnités versées à son client (une règle qui n’existe pas en France). « L’avocat a tout intérêt à gagner », résume Olivier Moréteau. Barack Obama n’a pas voulu s’attaquer au problème. Pas encore. « Sa priorité, c’est d’élargir l’assurance-maladie, rappelle le professeur. Mais le versement d’indemnités délirantes est devenu un enjeu politique majeur aux États-Unis ».

Pierre Loiseau, docteur en médecine et en droit, nuance le propos. « Cela fait longtemps qu’il n’y a plus de problème de responsabilité civile médicale aux États-Unis, assure cet expert en droit comparé. Les médecins ne vont jamais au pénal aux États-Unis. Et les indemnités au civil sont plafonnées par une loi fédérale depuis des années. L’assurance coûte cher aux spécialistes, mais leurs revenus sont aussi sans commune mesure ». Si bien que les médecins américains dorment sur leurs deux oreilles : « Ils risquent moins que les médecins français », estime le Dr Loiseau.

Que peut-il se produire en France si la réforme judiciaire est adoptée ? « Tout dépend de la mission assignée aux jurys populaires, anticipe Pierre Loiseau. S’ils fixent les indemnités, ils ne vont pas donner des clopinettes. Un jury populaire a tendance à donner plus d’argent que les juges. Cela risque de donner un lustre nouveau à la procédure pénale. Et cela risque de rendre certaines spécialités inassurables. Les obstétriciens vont davantage se recentrer sur la gynécologie ». Mais il se peut aussi que les magistrats décident seuls des indemnités à verser - comme c’est le cas aux assises. « Dans ce cas, c’est la fréquence des condamnations qui peut changer. La crainte sera de voir un plus grand nombre de médecins condamnés par les jurés populaires », considère Olivier Moréteau.

DELPHINE CHARDON

Source : Le Quotidien du Médecin: 8892