« Non, la surmédicalisation, le surdépistage, le surtraitement, la surprécaution, la surdétection ne sont plus des gros mots comme il y a 30 ans ! », déclare le Dr Luc Perino, généraliste à Lyon. En clôture du congrès de médecine générale, la séance plénière sur la surmédicalisation a permis de libérer la parole de professionnels face à ce mal social qui dépasse largement l’univers du cabinet.
« La surmédicalisation reste peu abordée par les chercheurs français », souligne d’abord la Dr Mathilde François, généraliste cheffe de clinique à l’université Versailles-Saint-Quentin et qui travaille actuellement sur le sujet dans le cadre de sa thèse de science. « Durant les dix dernières années, on a constaté que diminuer les soins restait difficile », indique-t-elle. Ainsi aux États-Unis, « si la sous-médicalisation s’est améliorée de façon significative, la surmédicalisation, elle, ne s’améliore pas », note la Dr François. En France, « une grande partie de la société est surtout sous-médicalisée, ce qui n’était pas forcément la réalité des médecins qui ont commencé à exercer il y a 20 ans », évoque le Dr Perino qui voit par ailleurs un lien direct entre sur et sous-médicalisation. « On est dans un contexte de soins où les enveloppes budgétaires sont de plus en plus limitées, donc la surmédicalisation de certaines populations est cause de sous-médicalisation des autres », expose-t-il.
Seuil de priorités
La surmédicalisation, c’est en premier lieu la conséquence logique d’un surdiagnostic d’une pathologie qui ne serait jamais symptomatique ou mortelle. « L’impact sur le patient, c’est que l’on va l’étiqueter comme malade, avec tout ce que cela implique comme angoisse et stress pour lui-même et son entourage », ajoute la Dr François. « Le seuil des priorités du patient peut être très différent de celui du médecin », considère le Dr Daniel Widmer, médecin généraliste à Lausanne (Suisse). « Certaines s’avèrent davantage palliatives que thérapeutiques et aboutissent à empiéter sur la vie quotidienne du patient », poursuit-il. « Le problème que l’on rencontre dans les cabinets, c’est qu’au niveau individuel, lorsqu’on fait un dépistage, il est impossible de juger si l’on est dans le cadre d’un surdiagnostic ou si l’on est devant un patient que l’on va vraiment sauver », tempère la Dr François, pour qui la déprescription constitue par ailleurs un vrai défi. « Lorsqu’il s’agit de mettre en place des médicaments, on a des études qui nous expliquent comment faire. Par contre, quand on veut déprescrire, il n’y a pas beaucoup d’études sur lesquelles s’appuyer », pointe-t-elle.
L’EBM ne suffit pas
Plusieurs facteurs peuvent expliquer certaines tendances à la surprescription en cabinet : peur de la faute professionnelle, mesures de la performance doublée d’incitations financières qui peuvent pousser à l’acte, quête de sécurité et besoin de se rassurer en tant que professionnel, progression de la technologie susceptible d’augmenter paradoxalement les incertitudes, sans oublier aussi le manque du temps à disposition du praticien pour dissuader un patient insistant qui souhaite bénéficier d’un examen ou d’un traitement. Le tout, dans un contexte social où la maladie est considérée comme un obstacle à la performance et la compétitivité, rendant ainsi intolérable l’inaction médicale.
Pour faire face à ce risque de surmédicalisation, « l’evidence-based medicine (EBM) devrait pouvoir nous aider, mais la science semble l’emporter sur l’expérience clinique et nos patients », déplore la Dr François qui fustige notamment un véritable « détournement du label qualité EBM » par les industries de santé. « L’EBM ne suffit pas pour régler le problème de la surmédicalisation », appuie le Dr Daniel Widmer, qui insiste sur le besoin de « garder un certain esprit critique et une bonne dose de scepticisme, qui nous pousse à continuer la recherche, à s’interroger sur le sens de la maladie pour le patient ».
Hiérarchisation des soins
Face à un volume de preuves « ingérable », et de plus en plus de recommandations de bonnes pratiques « inadaptées à la complexité du terrain », difficile au médecin de prendre le recul nécessaire. « Les recommandations sont surtout adaptées aux patients monomorbides alors que, dans notre quotidien, nous sommes confrontés à une multimorbidité complexe. », estime la Dr François. Alors que la hiérarchisation du parcours de soins peut aussi être source de surmédicalisation, le Dr Perino exhorte les généralistes à réaffirmer leur position de médecin traitant. Pour ce faire, il milite entre autres pour l’introduction d’une « lettre de spécialiste polycompétent » afin d’appuyer si nécessaire une opposition à une décision de traitement jugée inappropriée, émanant d’un confrère spécialiste. « Une manière d’abolir cette hiérarchie des soins et vaincre de facto la timidité naturelle et entretenue du généraliste », soutient-il.
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