Traitement Covid : « Je suis passé de gentil petit soldat à charlatan », se défend un généraliste convoqué par l'Ordre

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Publié le 11/06/2020
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Crédit photo : DR

Le Dr Jean-Jacques Erbstein, généraliste en Moselle, est convoqué prochainement avec l'un de ses confrères devant le conseil départemental de l'Ordre des médecins pour explication. Il leur est reproché « un protocole en dehors de la législation en vigueur » (à base d'azithromycine) pour des patients fragiles suspectés d'avoir le Covid-19 en avril dernier, traitement médiatisé dans la presse locale et nationale. Deux mois plus tard, le généraliste de 54 ans, contacté par « Le Quotidien », s'explique et partage son ressenti.

LE QUOTIDIEN : L'Ordre veut vous entendre car vous avez communiqué sur une combinaison thérapeutique à base d'azithromycine prescrite à des patients suspectés de Covid…

Dr JEAN-JACQUES ERBSTEIN : Nous avons remarqué, début avril, qu'il se passait quelque chose avec l'azithromycine, antibiotique connu pour ses propriétés anti-inflammatoires pulmonaires. Beaucoup de mes patients atteints de BPCO prennent ce médicament en traitement au long cours. J'ai remarqué que ceux qui étaient Covid+ ou suspectés de l'être – à l'époque nous n'avions pas encore de tests – faisaient des formes quasi asymptomatiques, alors que certains avaient leurs femmes en réanimation ! Partant de là, en faisant beaucoup de recherches et en lisant la littérature, je me suis dit pourquoi pas essayer l'azithromycine – qui était alors citée dans l'étude PrEP Covid, avec l'hydroxychloroquine – en l'associant avec de l'héparine et du zinc.

Nous n'avons pas prescrit cela de manière systématique. Sur environ 200 patients Covid vus, j'ai prescrit cette combinaison à 60 d'entre eux, et au bout de 48 heures, tous allaient nettement mieux. Aucun n'est mort. Nous l'avons fait en étant très prudents, en vérifiant les biologies, en faisant des ECG. On n'a pas fait d'études, certes, mais tout est consigné dans les dossiers de nos patients.

Il y a eu un emballement médiatique. Ne fallait-il pas être beaucoup plus prudent ? Vos confrères vous ont-ils soutenus ?

En parlant à la presse locale, on s'est dit justement que ça pouvait peut-être sauver d'autres patients, voire que c'était éthique ! En réalité, j'ai passé des nuits blanches sur Twitter à me faire traiter de « guignol », à me faire insulter. Certains confrères ont fait le parallèle avec les expérimentations pratiquées par les médecins nazis jugés à Nuremberg. D'autres m'ont dit que je faisais du stress post-traumatique et qu'il fallait que j'aille chez le psychiatre. Je suis passé d'un gentil petit soldat à un charlatan. Je ne m'y attendais vraiment pas, je pensais plutôt qu'il y aurait une discussion entre médecins, d'autant que je suis un fervent défenseur de l'evidence based medecine.

Mais on ne peut pas tout dire sur les réseaux sociaux, et parfois cela ne sert à rien d'argumenter. Heureusement, j'ai été défendu par d'autres confrères, et nous avons reçu beaucoup de coups de fil de médecins – y compris de l'étranger – qui nous demandaient comment on en était arrivé là, certains nous disant qu'eux aussi avaient pensé à ces médicaments. Ensuite, l'Ordre nous a contactés et nous a demandé de ne plus communiquer, ce que nous avons fait en coupant court à toute demande d'interview.

Avec le recul, quel regard portez-vous sur cette affaire et sur la crise sanitaire ?

Il faut se remettre dans le contexte, se souvenir de ce qu'on a vécu dans le Grand Est. En Moselle, on a morflé ! Quand l'épidémie nous a frappés, en quinze jours, j'ai perdu dix patients avec le Covid-19.

On a laissé les médecins aller se contaminer au front, sans protection, avec des charlottes et des blouses apportées par les patients. En tant que porteur de maladie chronique lourde, on m'a demandé de me mettre en retrait, mais j'ai refusé. Je pense avoir été touché par le virus dès février. Aujourd'hui, cela fait trois semaines que je n'ai pas vu un patient Covid. Mais le retour à la normale est compliqué ; pour beaucoup de médecins il n'y a même plus de colère, juste de la tristesse…

Appréhendez-vous votre convocation ordinale ?

Je n'ai pas peur d'aller voir l'Ordre. Je ne sais pas si nous serons sanctionnés avec mon confrère, mais si c'est le cas, nos patients vont se déchaîner. Nous ne sommes pas des méchants, nous n'avons aucun conflit d'intérêts avec les laboratoires et on ne touche pas d'argent pour ce qu'on a fait. Nous sommes juste des médecins, qui savent pourquoi ils font ce métier. Comme beaucoup de généralistes, on a fait ce qu'on pouvait, quand il le fallait.


Source : lequotidiendumedecin.fr