Au lendemain de la suspension pour 18 mois d’un médecin roumain exerçant dans le Morbihan, « le Quotidien » a souhaité faire le point avec le Dr André Deseur, vice-président de l’Ordre des médecins, sur le dossier de l’insuffisance professionnelle, une mission confiée à l’Ordre il y a plus d’un an.
LE QUOTIDIEN : Comment se gérait le dossier de l’insuffisance professionnelle avant le décret du 26 mai 2014, qui confie cette mission à l’Ordre ?
Dr ANDRÉ DESEUR : Il n’y avait rien. Seules des procédures disciplinaires existaient, aboutissant à la condamnation de médecins à une interdiction d’exercer. Mais ceci ne répondait pas à la nécessité de protéger la population lorsque des professionnels n’ont pas acquis ou maintenu les compétences nécessaires pour exercer sans dangerosité.
Que prévoit ce décret ?
Ce texte organise le traitement de l’insuffisance professionnelle lorsqu’il existe un doute sérieux sur la compétence d’un praticien. Le plus souvent, un médecin est l’objet de doléances de patients, de services hospitaliers, de l’Assurance-maladie ou de pharmaciens, émettant des doutes sérieux sur sa compétence professionnelle.
Dans ce cas, une expertise est diligentée. Elle n’est pas réalisée par l’Ordre, mais par un collège de trois experts. Le médecin incriminé choisit le premier expert dans la même discipline que la sienne, le conseil régional désigne le deuxième expert, et ces deux experts désignent un PU-PH qui sera le troisième.
Quelle est la mission de ce collège ?
Il doit apprécier la pratique du médecin mis en cause, et rendre un avis au conseil régional proposant, s’il y a lieu, une formation de remise à niveau. Si l’activité du praticien est sujette à caution, ce qui est le cas de l’immense majorité des saisines concernant des médecins généralistes, il est suspendu le temps de sa formation. Dans d’autres spécialités, la suspension est souvent partielle. Un gynécologue obstétricien a ainsi été suspendu du droit de réaliser des échographies obstétricales jusqu’à la fin de sa formation de remise à niveau, mais il pouvait continuer le reste de son activité. Un chirurgien orthopédique a pu continuer à opérer, sauf pour les prothèses de hanche. L’intérêt de cette procédure est de ne pas bloquer l’ensemble de l’exercice lorsque l’insuffisance concerne un seul pan de l’activité du praticien. Ensuite, le conseil régional prononce, sur la base du rapport d’experts, soit un non-lieu, soit une suspension totale ou partielle. Toujours pour une durée déterminée, limitée dans le temps, et corrélée à la formation imposée.
Le simple fait d’avoir suivi la formation demandée suffit-il à mettre fin à la suspension ?
Il faut une attestation du responsable de la formation, par exemple, que le DU a bien été obtenu. Si l’Ordre a un doute sérieux sur la qualité de la formation, une nouvelle expertise peut être demandée.
Combien de dossiers avez-vous traité en un an ?
Au cours du premier semestre 2015, il y a eu une centaine de saisines des conseils régionaux, au titre de l’insuffisance professionnelle. Seules trois ou quatre ont abouti à un non-lieu. Nous sommes en train d’analyser les données : environ 70 % des suspensions ont été prononcées contre des libéraux, et 30 % contre des hospitaliers. Environ 50 % concernent des généralistes, et 50 %, d’autres spécialités. Parmi ces dernières, prédominent l’anesthésie-réanimation, et la gynécologie obstétrique.
Combien de médecins à diplôme étranger figurent parmi eux ?
C’est impossible à dire en l’état. L’origine étrangère du diplôme de certains médecins n’est jamais invoquée dans les dossiers que l’on voit arriver. On trouve en revanche des problèmes de comportement, d’intégration au sein d’une équipe, ou une accumulation d’erreurs.
Cette procédure coûte-t-elle cher à l’Ordre ?
Oui, car les frais d’expertise sont à notre charge. À raison de 200 dossiers par an, analysés par trois experts, touchant chacun 400 euros d’honoraires, nous arrivons à un total de 240 000 euros. Dans un certain nombre de cas, une deuxième expertise est nécessaire avant la reprise d’activité du praticien.
L’Ordre est-il satisfait du dispositif ?
C’est une mission que nous réclamions depuis des années. Il s’agit de protéger la population et la profession. Notre seule insatisfaction est relative aux délais très difficiles à respecter. Ils sont de huit semaines entre la saisine de l’Ordre et le moment où, les experts ayant remis leur rapport, le conseil régional doit rendre sa décision. Nous souhaitons que ces délais soient allongés.
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