Docteur ès aliens

#4 Humains

Publié le 11/12/2020

Résumé : La révolte des octodactyles a déclenché une guerre et les rues de Paris sont dangereuses. Sarah leur a sauvé la mise, mais Tim et Abe ne sont pas encore hors de danger…

Nous nous traînons à l’allure poussive d’un pachyderme arthritique. À cette vitesse, Abe sera mort avant d’arriver au bloc opératoire. Il faut que je trouve une autre solution, et il faut que je la trouve maintenant. Réfléchis, Timothée, réfléchis ! Du coin de l’œil, j’aperçois un vélo en partie rouillé, attaché par un cadenas tout aussi rouillé. Par miracle, l’engin semble avoir encore tous ses morceaux. Je me fige. Un octodactyle sur un vélo, accroché au dos d’un humain qui pédale comme un dératé ? Pas le meilleur moyen de passer inaperçu. D’un autre côté, un humain en sueur trimballant un octodactyle blessé comme un sac de grain, ça ne mérite pas non plus une place de choix au panthéon des trucs discrets. Tant pis, nous n’avons plus le temps.

Je m’interroge sur la façon de libérer le vélo quand Abe me tend un pavé venu d’on ne sait où. Parfait. Je fais sauter le cadenas. Plusieurs rayons de la roue avant du vélo rendent l’âme dans la bataille, fusant dans tous les sens comme des insectes pris de folie. Ça n’a pas d’importance, le vélo est toujours en état de rouler.

Je resserre le garrot sur la jambe d’Abe, sors une seringue donnée par Sarah pour lui faire une nouvelle injection. Puis il se hisse comme il peut sur la plate-forme arrière, je m’installe sur le siège à moitié décomposé et lui indique de bien se tenir. « Je ferais ce que je peux », signe-t-il. Nous n’avons plus qu’à faire vite, je ne sais déjà pas comment il a tenu jusqu’ici. Il est médecin, il sait comme moi que nos réparations de fortune ont atteint leurs limites.

Paris est la seule ville de France où la pression internationale nous poussait à tolérer des aliens se baladant parmi les humains. Enfin, jusqu’à l’incident qui a tout déclenché. Les Parisiens sont tout aussi xénophobes que le reste du monde.

Chaque pays possède une ambassade octodactyle. Plusieurs grandes ONG ont fait pression sur les gouvernements pendant de longues années pour qu’il en soit ainsi.

Quand j’ai trouvé Abe devant chez moi, je n’avais pas beaucoup d’options. Dans notre malheur, je dirais qu’on a eu de la chance. Paris étant la capitale, c’est là qu’est implantée l’ambassade. Plus aucun hôpital équipé pour traiter les aliens ne fonctionnait, mais la clinique de l’ambassade était à notre portée. Alors j’ai appelé Sarah.

Je n’ai pas de voiture et aucun autre moyen de transport ne nous garantissait d’échapper à la vindicte populaire. Alors, il a fallu marcher. Et les blessures d’Abe, plutôt superficielles, se sont aggravées comme nous nous enfoncions vers le cœur de la ville. Il y a tout de même une trotte, de chez moi à l’ambassade.

Paris est désormais une ville en pleine guerre civile. Il y a des groupes de militaires et de policiers qui patrouillent pour maintenir l’ordre, mais ça ne suffit pas à arrêter les rassemblements de gens, armés de tout ce qu’ils ont pu trouver, et bien décidés à se débarrasser eux-mêmes de la « menace alien ».

Enfin, je vois le toit de l’ambassade qui dépasse de derrière l’immeuble au bout de la rue. Nous y sommes presque, il nous reste peut-être deux cents mètres à parcourir. Je crois que nous allons y arriver.

Je me permets un bref soupir de soulagement. Au moment où il franchit mes lèvres, Abe me serre l’épaule pour me faire tourner la tête. Un groupe de civils armés sort d’une rue voisine pour apparaître sur notre droite, juste entre nous et notre but.

Laetitia Beau navigue le plus souvent dans les eaux agitées de l’animation pour enfants. Elle fait aussi du chant et du théâtre, sa troupe est spécialisée dans les opérettes d’Offenbach. Durant le temps que ces activités lui laissent, elle écrit des histoires pour les petits et les grands dans les genres de l’imaginaire, peuplées de dragons et de visiteurs venus d’ailleurs.

Laetitia Beau