La grosse voiture noire est arrivée. Ta mère a pris ta petite sœur dans ses bras et vous êtes tous sortis devant la maison. Au moment du départ, tu as cligné des yeux pour ne pas pleurer. Tu as regardé leurs mains s’agiter tandis que la voiture s’éloignait et lorsque leurs visages ont disparu, tu as laissé couler tes larmes.
Tes vêtements sont dans le placard, pliés, bien alignés. Sur l’étagère du bas, ceux que tu as emportés, trop légers pour ici. Sur celle du haut, ceux achetés avec Annie dans le grand magasin. Tu enfiles un pantalon en jean, le tee-shirt avec un arc-en-ciel dessiné sur le devant et une veste rose molletonnée. Tu as laissé tes cheveux attachés. Tu prends ton sac en tissu, dans lequel tu as mis quelques vêtements de rechange, une trousse de toilette et le livre sur Paris que t’a donné Annie. Il y a quelques jours, tu as fait les mêmes gestes sous le regard attentif de ta mère, mais le voyage aujourd’hui sera plus court que le premier.
Tu descends l’escalier et poses ton sac à l’entrée. À l’étage, tu entends les voix d’Annie et de Manon. Tu ouvres la porte qui donne sur le jardin. Il est petit, entouré de grands murs. Chez toi, lorsque tu t’assois sur les marches en bois devant la maison, tu peux voir le fleuve bordé par les mangroves et admirer le coucher du soleil. Tu regardes tes mains, tes mains devenues oranges et tu as soudain froid. Tu t’es assise sur la banquette arrière de la voiture, à côté de Manon.
À travers la vitre, tu regardes le ciel. Toujours le même depuis ton arrivée. Un ciel froid, presque blanc, sans oiseaux. Tu aimerais voir celui de ton pays, bleu indigo et le jaune éclatant des fleurs d’abricotiers. Entendre le cri des cormorans au-dessus du fleuve, sentir le vent tiède souffler sur ta peau, les odeurs d’agrumes et d’épices. Tes yeux se brouillent, tes mains tremblent. Tu les serres l’une contre l’autre. Manon pousse un cri, tu te retournes. Du doigt, elle montre sa peluche tombée par terre. Tu la ramasses, la lui tends. Elle agrippe ta main. Tu sens sa paume chaude contre la tienne et cela te rassure.
L’arrivée à l’hôpital. Tu as voulu porter ton sac. Tu marches derrière Annie, tu te diriges vers l’ascenseur. Le tintement comme une clochette lorsque la porte s’ouvre. Comme la première fois, tu hésites à avancer. La légère pression de la main d’Annie sur ton épaule. Tu entres. L’impression étrange au creux de ton ventre puis de nouveau la clochette.
Le médecin est là avec Lucie, la dame aux cheveux roux. « Bonjour Thiên Kim. Tu veux voir ta chambre ? » Tu hoches la tête et tu les suis dans le couloir. Tout est blanc dans la chambre, les draps, les murs, le sol. Le médecin parle et Lucie répète les mots dans ta langue : « dans une demi-heure, on t’apportera ton repas et cet après-midi nous reviendrons pour te parler de ton opération. Si tu as besoin de quoi que ce soit, tu appuies sur la sonnette qui est ici. »
Annie t’aide à ranger tes affaires. Avant de quitter la chambre, elle te saisit les deux mains et te regarde. Ses yeux brillent et les tiens deviennent troubles. Elle ouvre ses bras et tu te précipites contre elle. Annie est partie. Tu sors de la poche de ton pantalon le dessin d’Hugo et le petit Bouddha en bois sculpté que ta mère t’a donné et tu les poses sur la table de nuit. Tu t’allonges sur le lit, tu fermes les yeux, tu retournes là-bas sur les bords du Mékong et la petite fille que tu aperçois court, court très vite sur le chemin.
Prochaine histoire courte dans notre édition du 9 octobre
Originaire de Lyon, Sandra Dullin est graphiste. En parallèle de son métier, elle participe depuis plusieurs années à des ateliers d’écriture et écrit des nouvelles. Quelques-unes ont été primées et certaines publiées en revue (SHORT n° 17, SHORT n° 22, L’Encrier Renversé n° 80) ou en recueil collectif (Un peu beaucoup / Nitro Collection).
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