Par Céline Santran
– Tu sais comme moi que je n’ai pas le choix, chuinta Gaspard avec difficulté. Si je rentre avec toi, je parie que les médecins ne me laisseront pas repartir.
Pierre savait que son père avait raison.
Lorsqu’ils étaient arrivés à Montevideo, Gaspard et lui avaient fait le tour des ambassades, consulats et autres administrations qu’on leur avait indiqués, sans résultat. Et puis la veille, alors qu’ils n’y croyaient plus, Pierre avait reçu un appel : l’aide inespérée d’un fonctionnaire sous-payé qui, à défaut d’avoir été touché par l’histoire de Gaspard, souhaitait visiblement se venger d’un système corrompu jusqu’à l’os. En grand altruiste, l’homme avait tout de même négocié les informations capitales qu’il détenait contre une somme plutôt rondelette. Pierre avait eu peur de l’arnaque, une de plus, mais l’homme travaillait au ministère de l’Intérieur et lui avait montré des documents qui, s’ils avaient été trafiqués, auraient véritablement relevé d’un faussaire de haut vol.
La crapule avait changé de nom. Elle s’appelait désormais Mark White et habitait New York. Gaspard serra les poings. White… c’était évident.
Dès le lendemain, tandis que Pierre rentrait en France, Gaspard s’envolait pour les États-Unis. Pierre avait choisi de respecter le souhait de son père de ne pas l’accompagner. Gaspard voulait être seul pour cet ultime face-à-face. Sentant qu’il touchait véritablement au but, Gaspard en oublia presque la maladie et même lorsque les symptômes le rappelèrent à l’ordre, il songea que la mort n’était pas si effroyable du moment qu’elle arrivait lorsque lui et lui seul l’aurait décidé.
***
Mark White avait pris l’habitude de se promener chaque matin dans Central Park, balançant sa canne d’avant en arrière comme pour accentuer la désinvolture avec laquelle il envisageait la fuite inexorable du temps. Un siècle d’une vie bien remplie viendrait bientôt plomber sa frêle carcasse mais le sémillant médecin à la retraite s’en moquait comme de son premier stéthoscope. Et pour cause, son dernier bilan de santé frisait l’indécence : une tension de jeune homme, des artères aussi peu encombrées qu’une autoroute du Nevada, une glycémie parfaite, un cholestérol inexistant, un œil de lynx et une ouïe de requin, en un mot : un spécimen, qui fascinait les spécialistes de tous poils.
Ce matin-là, la brume annonçait une belle journée ensoleillée. Mark quitta son appartement de l’Upper East Side pour se diriger vers le Reservoir, endroit qu’il affectionnait tout particulièrement pour sa vue imprenable sur Central Park West, et encore plus en cette saison où les cerisiers en fleurs lui rappelaient la douceur de l’existence dans cette ville fascinante. Il s’arrêta un instant sur le pont gothique, le n° 28, son préféré, celui dont la courbe des ferronneries lui rappelait l’église de son enfance, loin, très loin des rives de l’Hudson. Il n’avait jamais regretté son départ précipité d’Europe, ni ses multiples déménagements, on n’est jamais trop prudent, et encore moins son installation à New York, terre d’accueil qu’il avait tout de suite adopté avec l’enthousiasme du conquérant. Après avoir fait le tour du Reservoir, il se dirigea tranquillement vers le sud, flânant dans les allées avec une insouciance presque arrogante. Il était encore tôt et les quelques joggeurs qui croisèrent son chemin ne prêtèrent aucune attention au vieillard un peu voûté qui cheminait d’un pas alerte, ni à l’homme amaigri au visage fermé qui le suivait à bonne distance…
Prochain épisode dans notre édition du 27 novembre
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