Humeurs

Engagement public des chercheurs : comment éviter les dérapages ?

Publié le 07/09/2023
Par le Dr Hervé Maisonneuve - Communiquer avec le public est un art difficile car le jargon scientifique n’est pas compris. Distinguer les données factuelles des opinions est important. Le chercheur doit rester dans son domaine de compétence et connaître les trucs et astuces pour ne pas se faire piéger. Une information mal présentée peut, en effet, conduire à de la désinformation.

Crédit photo : DR

Prendre la parole en public est un art, et parler s’apprend. Pendant la pandémie, nous avons observé des collègues s’exprimer dans des journaux quotidiens et magazines, à la télévision (dont les chaînes en continu) et sur les réseaux sociaux. Nous avons vu le meilleur et le pire car nous avons un esprit critique et nos connaissances en santé nous permettent d’évaluer les propos. Le public a-t-il su distinguer l’ivraie du bon grain ? J’en doute.

Dans les médias, la plupart de nos collègues se disaient experts, mais comment juger de leur expertise ? Ils parlaient souvent en leur nom, ce qui est acceptable en respectant des règles de rigueur, d’intégrité, de déontologie. Comme vous, j’ai été étonné de voir certains collègues parler de maladies infectieuses, de pharmacologie, d’immunologie, de vaccinologie alors que leur expertise semblait acquise dans d’autres domaines.

Des médias d’opinions ignorent les données probantes issues de la recherche

En demandant à des journalistes scientifiques comment certains collègues ont été choisis, la réponse est : la direction de la rédaction décide. Le critère de choix n’est pas toujours l’expertise dans le domaine abordé. Des chercheurs sont disponibles durant deux ou trois heures sur un plateau de télévision et ils savent parler en public.

J’ai appris que des médias d’opinions, qui ne vérifient pas les faits, équilibrent les temps de parole entre le pour et le contre. Par exemple pour un débat déjà tranché, comme celui de l’inefficacité de l’hydroxychloroquine dans le Covid-19, ces médias d’opinions donnent le même temps de parole aux thèses pour et contre. Ils ne tiennent pas compte de l’existence de données probantes issues de la recherche. L’absence d’esprit critique chez certains auditeurs et lecteurs ne leur permet pas de se rendre compte de cette manipulation. La littératie en santé (capacité d’accéder à l’information, de la comprendre et de l’évaluer) n’est pas bonne dans la population française. J’évoque la santé, mais il en va de même pour les enjeux climatiques, le nucléaire, la biodiversité, etc.

L’engagement du chercheur est une liberté individuelle

Un avis du comité d’éthique du CNRS propose des réflexions sur l’engagement public du chercheur, entre liberté et responsabilité (Avis 2023-44 du Comets). « Le choix de s’engager doit aller de pair avec la prise de conscience, par le chercheur, qu’il met en jeu sa responsabilité non seulement juridique mais aussi morale, laquelle découle du crédit que lui confère le fait de détenir un savoir spécialisé approfondi. À travers l’engagement public sont potentiellement en jeu non seulement la réputation académique et la carrière du chercheur mais aussi l’image de son institution, celle de la recherche et, plus généralement, la qualité du débat public auquel il entend participer ou qu’il entend susciter. Le chercheur dispose d’une position privilégiée qui confère à sa parole un poids particulier. Il doit mettre ce crédit au service de la collectivité et ne pas en abuser ».

Des experts se laissent manipuler par les médias ou manipulent leur public

Je connais des collègues qui ne savent pas refuser une sollicitation pour parler en public. C’est un honneur d’être sollicité, à condition de rester dans son domaine d’expertise. Certains font preuve d’un militantisme ou prennent des positions peu scientifiques. Ces conduites devraient être condamnées par leur institution.

Le public, et les journalistes demandent des réponses simples et rapides. Les temps de parole sont limités et certains animateurs ont des consignes dans les oreillettes pour répartir la parole en privilégiant ceux qui font monter l’audience immédiate. Un chercheur ne devrait répondre qu’à des médias honorables.

Si vous êtes sollicités, apprenez à parler en public, et considérez les conseils de votre institution. Par exemple sur le site de Santé Sorbonne Université (1), il y a des conseils simples classés “avant”, “pendant” et “après”. Avant de s’exprimer, le chercheur devrait réfléchir, mettre son discours dans le contexte et déclarer ses liens d’intérêts. Il devrait préciser explicitement les incertitudes et les controverses. Un orateur devrait distinguer les données probantes issues de la rechercher et ses opinions.

[1] sante.sorbonne-universite.fr/faculte/integrite-scientifique/les-regles-et-principes-specifiques

Dr Hervé Maisonneuve

Source : Le Quotidien du médecin