« Un homme de 25 ans sans antécédent consulte pour une syphilis diagnostiquée sur bilan systématique en CeGGID… » ; « une femme de 52 ans récemment arrivée de Côte d’Ivoire est amenée aux urgences par ses enfants pour un syndrome cérébelleux d’installation progressive… À l’examen, elle présente… ainsi qu’une candidose buccale » ; « un homme de 75 ans accompagné de son épouse vous consulte pour brûlures urinaires avec sensation fébrile… ». Un étudiant lève alors la main, l’air posé, très sérieux : « Dites-nous : pourquoi ce sont toujours les homosexuels qui illustrent les cas de syphilis, les noirs qui ont des candidoses et les hommes blancs mariés avec une femme qui ont des prostatites ? ».
Solitude de l’amphithéâtre plein, où derrière leurs masques les étudiants vous fixent et attendent de vous une réponse au moins humoristique, à défaut d’être intelligente. Les millisecondes s’étirent, vous ne voulez surtout pas qu’elles deviennent des secondes car alors vous allez perdre la partie. Vous luttez pied à pied contre le syndrome adrénergique quand tout à coup, par votre bouche qui s’asséchait, jaillit un mot extirpé de votre subconscient : « Ah ! Vous cherchez à être WOKE ! ». L’amphi explose de rire, vous avez pour un temps gagné la bataille, mais sans doute avez-vous depuis longtemps perdu la guerre.
Qu’est-ce que le wokisme, qui depuis plusieurs années tend à remplacer le terme fourre-tout de « politiquement correct » et a pris, à la lumière du mouvement #metoo, une définition bien particulière ? Et surtout comment a-t-il subrepticement infiltré le milieu universitaire dont le milieu médical, traditionnellement plutôt conservateur. Initialement apparu aux États-Unis, le terme wokisme dérive du verbe anglais to wake, se réveiller. Il signifie le fait d’être conscient des injustices subies par les minorités et de les dénoncer, que ce soit en raison de leur sexe, de leurs croyances (entre autres religieuses) ou encore de leur origine ethnique.
Le wokisme s’attaque donc au traitement inéquitable que fit subir la société à ces minorités et cherche à faire prendre conscience du caractère normatif du mode de pensée dominant : ici à l’université « c’est l’homme blanc hétérosexuel qui fait une prostatite et c’est la femme noire migrante qui présente une (probable) toxoplasmose cérébrale sur infection VIH ». Pourquoi ne serait-ce pas une femme noire lesbienne qui ferait un AVC et un homme blanc hétérosexuel qui viendrait pour syphilis ?
Grand blanc
Évidemment, une majorité de lecteurs de cette chronique, médecins (blancs, de sexe masculin…) pratiquant en libéral ou à l’hôpital, répondront que les cas enseignés, tirés de la pratique clinique, sont également influencés par l’épidémiologie des pathologies : ce sont plutôt les homosexuels qui font des syphilis, des migrants d’origine Africaine qui sont susceptibles d’avoir le sida et des hommes âgés qui ont des problèmes de prostate. Et en médecine, au-delà de l’épidémiologie, le colloque singulier entre le patient et le médecin (que l’on réduit parfois en enseignement à « l’interrogatoire ») oriente beaucoup le diagnostic que l’on évoque devant un faisceau de symptômes.
Pourtant, au-delà de l’évidence épidémiologique, quand nous nous interrogeons sur la structuration de notre pensée, nous ne pouvons nier la force inconsciente des stéréotypes. Pour le meilleur : beaucoup penseront à demander une sérologie VIH lors de la prise en charge initiale d’un homme noir de 40 ans qui consulte avec un zona. Ou pour le pire : la majorité oubliera de demander une sérologie VIH pour un homme blanc de 70 ans consultant pour un zona. Pourtant la possibilité qu’oublier de prescrire cette sérologie chez notre patient de 70 ans nous conduise à une opportunité manquée de dépistage du VIH est élevée, participant ainsi, de par un conditionnement « politiquement correct » inconscient, à la vague des « HIV late presenters » qui représentent quasi 50 % des personnes nouvellement diagnostiquées avec le VIH en France.
Rendre « woke » l’enseignement en faculté de médecine passerait-il donc par la prise de conscience que notre raisonnement clinique est parfois influencé par ce que la société nous renvoie comme stéréotypes ? Pour ensuite les combattre par l’exemple : le prochain cas d’AVC à traiter aux Épreuves Nationales Classantes devra être celui d’une femme de 72 ans accompagnée aux urgences par son épouse, tandis que c’est Stella, transgenre d’origine Caucasienne de 24 ans, ingénieure en informatique, qui présentera une tuberculose bacillifère.
Heureusement, la cancel culture n’a pas encore envahi les bancs des UFR de médecine. Pour preuve : le chirurgien urologue qui continue d’enseigner la prostatite sur adénome de l’homme blanc (évidemment hétéro) n’a encore jamais été interdit d’amphi. Tout juste a-t-il peut-être aperçu certain(e)s étudiant(e)s esquisser un sourire en coin, sans vraiment comprendre pourquoi parler d’infection urinaire pouvait passer pour un trait d’humour.
Allez, vous n’avez rien compris à cette chronique ? Rassurez-vous, comme 86 % des Français, vous n’aviez jamais entendu parler de wokisme avant cette lecture ! Ce qui importe finalement, c’est que devant tout zona, quel que soit le sexe de votre patient et son origine ethnique, vous prescriviez bien un dépistage du VIH.
Exergue : Le prochain cas d’AVC à traiter aux ECN devra être celui d’une femme de 72 ans accompagnée aux urgences par son épouse
Tribune
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