Courrier des lecteurs

Une relocalisation qui pose question

Publié le 23/06/2023
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Notre Président est allé visiter, il y a quelque temps de cela, une entreprise dans l’Ardèche (une manière de vitaliser un département rural ?) qui est visiblement prête à s’investir dans la fabrication de certains médicaments « essentiels », et qui pour certains font cruellement défaut.

Ce qui est curieux, c’est de voir que cette volonté de relocalisation fait suite aux propos parfois acerbes de certains soignants. Il faut reconnaître que nous sommes, en tant que professionnel de santé, parfois très embarrassés pour traiter certains patients.

L'impact dans la pratique

C’est ainsi que dans le domaine de l’antibiothérapie, nous devons jongler avec les stocks disponibles ce qui est parfois quelque peu hasardeux, car nos prescriptions ne correspondent pas nécessairement aux objectifs que nous voulons atteindre.

Après avoir pris en compte la pénurie en amoxicilline il y a quelques mois de cela, nous devons « accepter » l’absence de céphalosporines de troisième génération dans les officines de ville. Actuellement il m’est quasiment impossible de trouver des produits pour effectuer des infiltrations, et l’approvisionnement en anesthésique local est devenu difficile du fait d’un manque avéré de certaines molécules de cette classe.

Il m’arrive très fréquemment de me dire que ces situations sont inacceptables en France, cela d’autant plus que la qualité de mon exercice professionnel est profondément modifiée par l’absence de certaines thérapeutiques pourtant essentielles et difficilement substituables.

De plus, alors que nous devons abattre un travail considérable (la pénurie ne concerne pas seulement les médicaments, mais aussi les professionnels de santé), nous devons prendre le temps (il est pourtant très précieux) de répondre aux pharmaciens qui ne peuvent pas délivrer le médicament prescrit du fait de son absence.

Les politiques ne cessent de dire que nous ne sommes pas les seuls impactés par ces « manques », mais la réalité est différente et nous apprenons qu’au niveau européen de nombreux pays n’ont pas les mêmes problématiques.

Ils se gaussent même de la manière dont la santé est gérée en France.

Une situation qui s’explique facilement, et qui nécessite une mise au point

En fait le prix des médicaments en France est ridicule par rapport à celui qui est fixé par les autres pays. De ce fait les magnats industriels conscients d’une marge quasi inexistante sur la vente de certains traitements dans notre pays, préfèrent se tourner vers d’autres marchés porteurs, ce que nous comprenons aisément.

Il est certain que l’exécutif est totalement responsable de ces pénuries en refusant de relever les marges des médicaments.

Aussi lorsqu’on regarde le comportement de notre Président qui tente de rassurer de cette manière les Français, nous ne pouvons qu’être surpris.

Comment va-t-il faire pour produire sur le sol de notre pays des médicaments avec un prix dérisoire, cela en sachant que le coût de la main-d’œuvre est important ?

Le ministre de la Santé conscient de ce paradoxe a proposé de majorer le coût des génériques afin d’éviter une pénurie qui a de grandes chances de perdurer, voire de se majorer si aucune mesure effective n’est prise à cet égard.

Ce qui est surprenant (mais pas véritablement car nous voyons que le gouvernement adopte une position similaire avec les libéraux), c’est de voir que les médias et les politiques masquent la réalité en diabolisant l’industrie pharmaceutique. Il est vrai que ce secteur d’activité est composé de responsables qui ne sont pas des enfants de chœur.

Néanmoins il faut reconnaître qu’il ne faut pas aussi se moquer de ces professionnels (je ne parle pas des fabricants de génériques) qui investissent des capitaux parfois considérables pour tenter de mettre sur le marché des molécules qui doivent être conçues, et testées sur des modèles animaux avant d’être disponibles.

Outre le fait que certaines molécules ne seront jamais disponibles du fait de leur toxicité, nous ne devons pas perdre de vue que d’autres feront l’objet d’une réglementation draconienne avec des règles très strictes pour leur utilisation, ce qui réduit leur utilisation.

En étant objectif, et sans aucune animosité, il faut reconnaître que l’industrie pharmaceutique a été de tout temps considérée comme une branche qui arrive à gagner beaucoup d’argent. Il est difficile de ne pas contredire cette vision, mais il faut savoir la pondérer car de nombreuses firmes ne doivent leur salut qu’en se faisant racheter ou en s’associant avec d’autres structures.

Alors que dans les années cinquante les entreprises françaises produisant des médicaments étaient nombreuses, elles se comptent actuellement sur le doigt d’une main.

Au-delà de ces faits il est fondamental de bien faire comprendre à nos énarques que le médicament est la base du traitement du patient, et qu’il est fondamental à ce titre d’avoir une politique de santé qui prenne en compte cette situation.

Nous ne pouvons pas accepter que, pour des raisons budgétaires, certains patients ne puissent pas bénéficier de certaines chimiothérapies (c’est un exemple auquel j’ai été récemment confronté) disponibles dans certains cas dans d’autres pays.

 

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Pierre Francès Médecin généraliste, Banyuls-sur-Mer (66)

Source : Le Quotidien du médecin