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Dossier

Arrêts de travail

Pr Oustric, coauteur du rapport sur les IJ : « Le médecin peut éviter qu’un arrêt ne se prolonge »

Par Christophe Gattuso - Publié le 01/03/2019
Pr Oustric, coauteur du rapport sur les IJ : « Le médecin peut éviter qu’un arrêt ne se prolonge »

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Garo/phanie

Coauteur d’un rapport remis au Premier ministre pour « plus de prévention, d’efficacité, d’équité et de maîtrise des arrêts de travail », le Pr Stéphane Oustric, généraliste toulousain, détaille les propositions formulées pour endiguer l’envolée des IJ qui ont représenté 7,4 milliards d’euros en 2017 (+15 % en 7 ans). Actions de prévention en entreprise, nouveaux référentiels pour les médecins, refonte du formulaire cerfa avec possibilité de proposer un mi-temps thérapeutique ou du télétravail... Telles sont les principales pistes de ce document de 150 pages qui devront désormais faire l’objet de négociations avec les partenaires sociaux.

Le Généraliste - Le Premier ministre vous a chargé avec Jean-Luc Bérard (DRH du groupe Safran) et Stéphane Seiller, magistrat à la Cour des comptes, de plancher sur les moyens de limiter les dépenses liées aux arrêts de travail. La tâche a-t-elle été difficile ?

Pr Stéphane Oustric : Nous avons mené une large concertation sur les arrêts de travail du privé avec les partenaires sociaux, assurés, syndicats de médecins, organismes complémentaires... Une contribution écrite a été demandée à chacun. Cet échange de qualité et bien vécu par l’ensemble des acteurs nous permet de mieux comprendre la situation et de formuler ces vingt propositions.

Pourquoi les IJ se sont-elles envolées ces dernières années ?

Pr S. O. Deux éléments mécaniques expliquent très simplement l’augmentation des indemnités journalières. D’une part, il y a eu en France une hausse du taux d’emploi. Davantage de gens travaillent et de fait, cela entraîne plus d’arrêts maladie. D’autre part, le dynamisme des IJ est porté par le vieillissement de la population. En 2017, la durée d’un arrêt était de 75 jours en moyenne pour les plus de 60 ans, soit 24 jours de plus que chez les 55-59 ans. Les gens partent plus tardivement à la retraite. Les arrêts maladie en hausse concernent ainsi des salaires plus élevés, ce qui accroît leur coût.

Les médecins sont souvent considérés par les pouvoirs publics comme responsables de cette flambée des IJ. Le sont-ils plus que les salariés ou les entreprises ?

Pr S. O. : Aucun intervenant ne peut être tenu comme seul responsable des défauts de fonctionnement du système. Il n’y a d’abus caractérisé d’aucun acteur. Cette hausse des IJ n’est pas la faute d’employeurs esclavagistes, de salariés fainéants ou de médecins trop laxistes. Par contre, il faut que tous s’engagent et se sentent responsables collectivement de la problématique des arrêts de travail. Notre rapport montre que ce sujet est complexe et doit faire l’objet d’un continuum d’actions non isolées.

Comment agir sur les arrêts longs qui moins nombreux pèsent en revanche financièrement très lourd ?

Pr S. O. : En effet, 74 % des arrêts maladie sont courts, inférieurs à un mois, et représentent 18 % des dépenses. Les 26 % d’arrêts longs pèsent eux 82 % des dépenses. Les arrêts courts peuvent devenir longs, donnant lieu à un dysfonctionnement de l’entreprise qui peut entraîner des dépenses supplémentaires indirectes (surcoût, retard de production…). Pendant le premier mois d’arrêt, le médecin peut avoir un rôle à jouer en évitant qu’il ne se prolonge. Car plus l’arrêt est long, plus le risque de désinsertion professionnelle augmente.



Votre rapport propose justement des alternatives à l’arrêt de travail comme le temps partiel thérapeutique. Comment le médecin pourrait-il l’initier ?

Pr S. O. : Prenons l’exemple d’une entorse de la cheville dans le tertiaire. Aujourd’hui, l’employé est arrêté 8, 10 ou 15 jours, le temps des soins. Un temps partiel thérapeutique lui permettrait, avec trois demi-journées par semaine chez le kiné, de venir travailler avec une attelle. Cette mesure maintiendrait les gens dans l’emploi et éviterait la désinsertion professionnelle. Un avis d’interruption de travail tracerait l’arrêt initial en fixant des conditions particulières, pour avoir d’un côté des soins et de l’autre une activité professionnelle. Cette démarche serait possible avec l’accord du patient et de l’entreprise. Aujourd’hui, le temps partiel thérapeutique existe déjà pour les salariés en ALD mais pas pour les arrêts courts.

Vous prônez la possibilité du télétravail. Qui pourrait y recourir ? comment ?

Pr S. O. : Le télétravail doit être une opportunité, pas une obligation. Il doit être rendu possible avec l’accord du salarié et de l’entreprise (ou par un accord d’entreprise). Prenons le cas d’une jeune femme salariée dans le tertiaire qui s’est cassé un petit doigt de pied. Elle porte une chaussure de barouk après avis du chirurgien. Je lui fais un arrêt initial pour déclarer l’événement et lui propose le télétravail. Si la fracture bouge dans les trois semaines, il faudra opérer mais elle aura été déclarée initialement. Cette disposition existe déjà dans la réglementation pour les accidents de travail. Pourquoi pas pour les arrêts de travail ?

Faut-il revoir le formulaire cerfa d’arrêt de travail ?

Pr S. O. : Nous souhaitons que le nouveau document permette une souplesse et une adaptation aux besoins de la société. C’est pourquoi nous proposons de retirer les horaires de sortie, scientifiquement injustifiés.

Nous recommandons de mettre en place des demi-journées de soins fixées par le médecin afin de préserver des temps de soins adaptés aux patients et pas à l’entreprise. En cas d’entorse de la cheville par exemple, je souhaite que la personne puisse avoir des soins de kiné trois fois par semaine le lundi matin, le mercredi matin et le vendredi matin par exemple. Le reste du temps, elle ira au boulot.

Faut-il revoir le rapport particulier des Français et des médecins avec les IJ ?

Pr S. O. : On ne pourra pas empêcher les gens d’être malades. L’arrêt de travail fait partie de l’arsenal thérapeutique et de la prescription médicale. Cet acte doit rester dans le champ du droit social. Le médecin doit attester que le patient a vraiment un problème objectif. Et s’il vient le voir le lundi matin pour lui demander un arrêt car il a fait la bringue et ne veut pas aller bosser, le médecin a la capacité et le devoir de dire non ! Il se doit d’éduquer son patient. Un arrêt n’est pas un simple acte de paperasse, il permet à un citoyen d’acquérir le droit social qui lui est dû par la loi. Cette responsabilité donnée aux médecins, il ne faut pas la galvauder.

Votre rapport prévoit d’améliorer les référentiels des arrêts à destination des médecins. Dans quels domaines pourraient-ils faire mieux ?

Pr S. O. : Les fiches repères proposées par l’Assurance maladie sur la durée des arrêts de travail reposent parfois sur des référentiels étrangers ou sont l’émanation de sociétés de spécialistes. Il y a urgence à ce que l’Assurance maladie les retravaille avec le Collège de la médecine générale, qui représente l’ensemble des collèges scientifiques, académiques et les syndicats mais aussi avec le Collège national des généralistes enseignants. Ces fiches sont légitimes, mais ne s’appliquent qu’aux arrêts de courte et de moyenne durée. Il n’y a aucun référentiel sur les maladies chroniques à ce jour. Il nous semble aussi important que tous les médecins puissent être informés sous forme dématérialisée de leur pratique courante de prescription d’arrêts de travail et pas uniquement les gros prescripteurs.

Pour mettre en place cette réforme, vous suggérez d’améliorer les échanges entre les généralistes, les médecins-conseils et la médecine du travail.

Pr S. O. : Oui, les trois solitaires doivent devenir les trois solidaires. Le prescripteur de l’arrêt doit pouvoir demander soit à être contacté par le médecin-conseil, soit demander une visite d’évaluation du médecin du travail ou une visite de pré-reprise. Il n’est plus possible d’attendre six mois que le médecin-conseil se manifeste. Il doit le faire dans les trois mois et le médecin du travail doit pouvoir agir très rapidement, au pire dans les six semaines. Nous proposons que le médecin du travail puisse mettre dans le DMP le type d’entreprise du salarié et la typologie de son poste. Cela permettrait de mieux connaître son travail (port de charges lourdes ou postures…) et de faire plus de prévention sur les pathologies au travail. Les emplois précaires sont très exposés. Il est parfois difficile de savoir si les difficultés rapportées par un salarié sont réelles. D’où la nécessité d’avoir rapidement une consultation d’évaluation par le médecin du travail pour éviter qu’un arrêt de travail soit le début d’un cycle long avec des prud’hommes.

Vous proposez une remise à plat des règles d’indemnisation avec un jour de délai de carence pour tous. Pouvez-vous nous dire pourquoi ?

Pr S. O. : Nous souhaitons instaurer une règle d’équité. Si la fonction publique a un jour pas pris en charge, il faut que tous les salariés en France, quel que soit leur régime, aient un jour de carence. En contrepartie, l’argent récolté permettra de modifier les conditions d’ouverture des droits d’environ 9 millions de salariés qui en cas d’arrêt de travail n’ont rien, à part le versement socle de la Sécurité sociale. Ils se trouvent dans une situation de précarité, ne bénéficient pas de la cotisation patronale et n’ont pas accès à une complémentaire. Avec ce jour de carence, nous pourrions leur ouvrir la subrogation (le salaire maintenu, remboursé ensuite aux employeurs par la Sécu). Il s’agirait d’une mesure de justice sociale.

Propos recueillis par Christophe Gattuso