La démocratie sanitaire est-elle enfin devenue une réalité à l’hôpital ? « La place du patient est déterminante. Lors du colloque singulier, si le médecin sait l’écouter, il apprendra beaucoup d’informations. Il existe aussi beaucoup de facultés de médecine qui ont des cours réalisés par des patients », présente le Pr Rémi Salomon, pédiatre et président de la Conférence nationale des présidents de CME de CHU.
Depuis quelques années, cette fonction s’est inscrite dans le paysage de l’hôpital, avec deux casquettes bien différentes, celui de représentant des usagers (RU) et celui de patient partenaire.
« À l’origine, le rôle des représentants de patients était très basique, ils répondaient à un questionnaire de satisfaction sur ce qu’ils pensaient de la prise en charge. Mais les RU se sont beaucoup formés, ce qui a profondément changé le relationnel avec eux », présente Kathia Barro, responsable adjointe du pôle offre de la Fédération hospitalière de France (FHF). « Nous sommes confrontés au vieillissement de la population et à l’explosion des pathologies chroniques. Insuffisance cardiaque, AVC, insuffisance rénale… cela a amené ces patients partenaires à devenir de plus en plus compétents dans leur pathologie », complète le Dr Jean-Marc Faucheux, neurologue et président de la commission qualité et usagers de la FHF, qui compte une quarantaine d’experts issus du monde hospitalier.
L’éducation thérapeutique à structurer
« Dans les textes réglementaires, un patient partenaire n’est pas membre de la commission des usagers », contextualise Kathia Barro. Le représentant des usagers a un rôle dans les instances des établissements en lien avec la communauté médicale. Mandaté par l’agence régionale de santé, il n’est pas forcément proche des patients ni des équipes hospitalières. Le RU a un rôle formel, qui joue dans l’organisation de l’établissement et dans la construction de la démarche de soin. Souvent issu du monde associatif, il exerce sa fonction au sein de la commission des usagers et dispose de toutes les informations sur le fonctionnement de l’hôpital.
Le cadre d’action du patient partenaire est moins organisé, plus ponctuel que celui du représentant des usagers
Quant au patient partenaire, il est en capacité d’aider à la formation par son savoir expérientiel d’autres patients et de permettre aux services de soins d’adapter leur prise en charge aux autres patients. Son cadre d’action est moins organisé, plus ponctuel que celui du RU. Il est impliqué dans les programmes de soins et participe à l’élaboration de l’éducation thérapeutique (ETP). Sur ce dernier volet, il reste beaucoup à faire. « L’ETP se structure un peu mieux, rassure le Pr Rémi Salomon. Nous en faisons au quotidien avec nos infirmières. Et celles en pratique avancée passeront encore plus de temps avec les patients. »
Usure des bénévoles
Que ce soit le RU ou le patient partenaire, le statut du patient expert est défini par la notion de bénévolat, qui représente à la fois une qualité et un handicap : « Ce n’est pas toujours évident pour ces personnes de s’investir longtemps et durablement en tant que bénévoles », argue Kathia Barro. Il est, certes, défrayé pour ses transports. « Mais c’est compliqué au sein de tous les établissements de rembourser des tonnes de jours de présence pour la perte d’activité qu’il subit », déplore le Dr Jean-Marc Faucheux. Si le patient expert venait à être salarié, il perdrait son indépendance. C’est aussi la raison pour laquelle il est formé par France Assos santé et pas par l’établissement. Mais dans le sens inverse, un patient à la fois en activité professionnelle et président d’une commission d’usagers « peut représenter un vrai blocage », analyse le Dr Faucheux.
Alors que la parole des patients a rarement été autant valorisée dans les discours, il semblerait que ce partenariat ne se développe finalement que lentement, selon France Assos santé. « Nous avons imposé l’idée qu’il fallait prendre le temps d’écouter les personnes malades, comme en témoigne par exemple la mise en place des PROMs [Patient-reported outcomes measures, qui évaluent les résultats des soins, NDLR], des PREMs [Patient-reported experience measures, qui s’intéressent à la manière dont le patient vit l’expérience des soins : satisfaction (information reçue), vécu subjectif (attention portée à la douleur) et vécu objectif (délais d’attente), relations avec les prestataires de soins] ou encore l’élaboration des programmes d’ETP. De plus en plus de services hospitaliers ont intégré la “valeur patient” et travaillent d’une façon différente, mais les patients partenaires peinent à s’imposer », souligne Gérard Raymond, président de France Assos santé. Et de citer comme levier déterminant le vote de la loi du 4 mars 2002, qui a notamment encadré la représentation des usagers.
Faut-il dès lors appeler à une nouvelle étape législative ou réglementaire pour faire reconnaître la place des patients partenaires ? Gérard Raymond le pense. « Certains ne représentent qu’eux-mêmes, d’autres demandent à être rémunérés. La diplomation est aussi un vrai sujet. Quelle est la différence entre les différents DU proposés ? Je ne sais pas. Nous avons besoin a minima d’une certification des formations par une structure ad hoc indépendante. »
Vers un syndicat de patients partenaires ?
Un deuxième sujet majeur concerne le recrutement des patients partenaires. Au-delà des attentes relatives à la défense d’une vision objective de leur pathologie, France Assos santé demande qu’ils soient adhérents d’associations de patients agréées.
Se pose enfin la question de la valorisation de l’engagement des patients partenaires. « Si on parle de rémunération, on crée un métier. Pourquoi pas un syndicat ou un Ordre ? », s’agace Gérard Raymond, qui préfère citer le modèle des pompiers bénévoles et envisager d’autres formes de reconnaissance : des compensations pour le patient salarié et son employeur ou encore des avantages pour la retraite par exemple. « Si nous voulons préserver la démocratie en santé, d’un point de vue positif et créatif, nous devons encourager le législateur à se saisir du sujet. Sans oublier que la rémunération à l’acte ne facilite pas le dialogue entre médecins et patients. Il faut tout remettre à plat », estime le président de France Assos santé.
2 500 associations de patients
Directeur de l’information et de l’accès aux traitements de l’European Organisation for Rare Diseases (Eurordis), François Houÿez relève aussi des freins à l’expression des patients. « Il existe 2 500 associations de personnes malades dans notre pays. Celles qui ne sont pas membres de France Assos santé – qui en fédère une centaine – se trouvent très souvent exclues du champ d’interaction avec les institutions. Un autre filtre concerne la participation : dès lors qu’un ou deux patients ont été désignés, la mission est considérée comme accomplie. Nous regrettons aussi le recours aux questionnaires adressés aux représentants de patients car cette communication à sens unique ne facilite pas le dialogue. »
L’expertise du patient est tout de même pleinement reconnue dans le cadre des travaux sur la responsabilité populationnelle. Cette démarche vise à faire travailler ensemble tous les acteurs d’un bassin de vie pour améliorer la santé de ses habitants. Elle entend poser les bases d’un nouveau système de santé, plus solidaire, plus efficient et plus humain. Pour évaluer la place du patient expert, un nouveau dispositif est en réflexion. « Aujourd’hui, nous interrogeons le patient à la sortie d’une hospitalisation ou d’une consultation. L’objet ici sera d’interroger son expérience tout au long du parcours de soins, pour voir comment il a été impliqué dans la coconstruction du parcours et ses bénéfices », présente Kathia Barro, pour qui « les parcours de coordination sont les éléments les plus complexes » à travailler. « Ce n’est pas une vision hospitalocentrée mais une grande nouveauté, qui s’inscrira bien dans le lien ville-hôpital », conclut le Dr Faucheux, optimiste.
Partenaire, expert, ressource ou pair-aidant ?
Les précautions sémantiques semblent de mise. Il est de plus en plus fréquent d’accoler aux mots de « patients partenaires » les qualificatifs « experts », « pair-aidants », voire « ressources » pour ne froisser personne. Une prudence qui fait sourire Gérard Raymond, président de France Assos santé : « J’ai imposé le terme de “patient expert” il y a trente ans parce que les diabétologues s’y opposaient au motif que cette notion leur était réservée. Aujourd’hui, “patient partenaire” est sans doute l’appellation qui correspond le mieux au rôle de celles et ceux qui font entendre la voix des personnes malades auprès des professionnels de santé. »
« On passe un temps fou à définir les concepts en oubliant souvent la question essentielle : comment faire entendre la voix des malades ? », regrette pour sa part François Houÿez, directeur de l’information et de l’accès aux traitements de l’European Organisation for Rare Diseases, qui se souvient des (mêmes) débats au niveau européen entre l’informed patient, l’expert patient, le concordant patient et le representative patient. « Nous avons retenu avec l’European Patient’s Academy de trois formes de participation : le lay patient qui a l’expérience de sa maladie, l’expert patient qui comprend finement les procédures auxquelles il participe et le representative patient qui s’exprime au nom d’une association ou d’un réseau social. »
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