Marginale avant 2020, la téléconsultation est devenue omniprésente, et constitue aujourd'hui pour beaucoup un outil évident dans la relation médecin patient. Pourtant le potentiel, les limites et même parfois le mode d’emploi de cet outil restent encore flous.
Parmi les certitudes qui se sont effondrées au printemps 2020, celle qui voulait qu’une consultation soit une rencontre mettant face à face, dans l’intimité du colloque singulier, un médecin et son patient n’est pas la moindre. Car jusqu’à ce que le coronavirus vienne chambouler tant de choses dans l’ordre médical établi, la téléconsultation était vue au mieux comme une perspective futuriste, et au pire comme une menace pour la qualité des soins. Mais soudainement, tout a volé en éclats, l’Assurance-maladie allant jusqu’à rembourser, en avril 2020, certaines téléconsultations effectuées par téléphone. Aujourd'hui, après l’introduction de règles pour limiter ce qui a été perçu par beaucoup comme des abus (voir encadré), la téléconsultation semble faire partie du quotidien, ce qui ne veut pas dire qu’elle est désormais parfaitement intégrée dans les parcours de soins. Comme l’illustre le titre du rapport de la Cour des comptes présenté cette semaine : « Téléconsultations - Une place limitée dans le système de santé, une stratégie à clarifier pour améliorer l’accès aux soins ».
« En 2020, la téléconsultation est devenue une solution incontournable du jour au lendemain, se souvient Olivier Babinet, ex-directeur d’établissements sanitaires et coauteur, avec la Pr Corinne Isnard Bagnis, de La e-santé en question(s) (Hygée, 2020). On est passés d’un contexte freiné par de nombreux obstacles à un terrain fertile en opportunités tel que même les acteurs les plus optimistes de la e-santé de l’époque ne pouvaient l’imaginer. » Mais après un moment de croissance quelque peu débridée, « les frontières ont progressivement été redessinées et on assiste à un recadrage des pratiques », remarque-t-il.
Une analyse que confirment les chiffres publiés par l’Assurance-maladie dans son rapport « charges et produits » pour l’année 2025, et qui montrent un indéniable tassement de l’activité de téléconsultation. Leur nombre, toutes spécialités confondues, est en effet passé de 17,1 millions en 2020 à 13,2 millions en 2021, pour s’établir à 11,6 millions en 2023. Pour cette dernière année, la médecine libérale représente les deux tiers des téléconsultations réalisées, mais la part des plateformes, quasiment inexistante (1 %) en 2020 est désormais significative : 33 %. La médecine générale est encore de loin la spécialité le plus concernée (75 % des téléconsultations en libéral et 90 % en plateforme), suivie de la psychiatrie (12 % en libéral et 4 % en plateforme en 2023).
Autant de téléconsultations que de téléconsultants
Reste que derrière ces chiffres globaux se cachent des usages de la téléconsultation très différents. On pourrait dire qu’il y a autant d’usages de la téléconsultation qu’il y a de médecins. « En ce qui me concerne, les patients ne peuvent pas prendre directement rendez-vous pour une téléconsultation, explique par exemple le Dr Fabien Besançon, généraliste dans l’Essonne et secrétaire général du Collège de la médecine générale (CMG). Mais je peux le proposer, et ils peuvent le demander, via le secrétariat ou directement avec moi. » Ce Francilien estime que la téléconsultation est aujourd'hui, à l’échelle de son cabinet, « entrée dans les usages » notamment pour le suivi d’examens prescrits, ou encore pour des motifs administratifs.
Souvent, le lundi, on fait un peu le service après-vente auprès de patients qui ont fait une téléconsultation sur une plateforme
Dr Fabien Besançon, généraliste et secrétaire général du CMG
Fabien Besançon dit par ailleurs totalement comprendre ses confrères qui, dans le cadre de leur rôle de médecin traitant, ont des pratiques qui diffèrent de la sienne, en permettant notamment à leurs patients de prendre directement rendez-vous pour une téléconsultation en ligne. « Je pourrais le faire, maintenant », estime-t-il. Mais il reste très critique à l’égard d’autres usages de la téléconsultation. « Souvent, le lundi, on fait un peu le service après-vente auprès de patients qui avaient une demande de soin alors qu’on n’était pas disponible, qui ont fait une téléconsultation sur une plateforme, et qui se retrouvent avec tout : les antibiotiques, les corticoïdes, la totale… », critique-t-il.
Bien sûr, de l’autre côté du spectre, on défend la téléconsultation telle qu’elle est pratiquée sur les plateformes. « Il y a sept millions de Français qui n’ont pas de médecin traitant, et quand ils en ont un, il n’est pas forcément disponible, note le Dr Nicolas Leblanc, directeur des affaires médicales de Livi, l’un des principaux acteurs du secteur en France. Ce n’est pas une critique, cela résulte des difficultés de la pratique médicale, et nous apportons une réponse de qualité à des patients qui ont besoin d’accéder à des soins pour des choses simples. » Celui-ci ajoute que du point de vue des médecins, l’activité de téléconsultation chez Livi est un moyen pour les praticiens, qu’ils soient installés en libéral, remplaçants, hospitaliers, ou retraités, de « diversifier leurs pratiques, ou encore d’ajuster leur travail en fonction des moments clés de la vie ».
De l’âge de raison à l’âge adulte
Du point de vue de ceux qui la pratiquent, il semblerait donc que la téléconsultation soit entrée dans l’âge de raison. Mais il y a loin de l’âge de raison à l’âge adulte, et les étapes à franchir pour atteindre la maturité sont encore nombreuses. « Il y a encore des progrès à faire pour que les patients se saisissent de l’outil à meilleur escient, on en a encore beaucoup qui acceptent le rendez-vous en téléconsultation, puis qui décrochent alors qu’ils sont chez Ikéa, ou au volant…, regrette Fabien Besançon. Et côté médecin aussi, se programmer des téléconsultations quand on est en vacances, je ne suis pas sûr que ce soit plus pertinent que de décrocher quand on est chez Ikéa. »
Sur un autre registre, le secrétaire général du CMG note que si la téléconsultation peut permettre de fluidifier le travail, de dégager quelques minutes de temps médical par-ci, quelques minutes par-là, il ne faut pas lui demander ce dont elle n’est pas capable : ce n’est pas parce que la téléconsultation abolit les distances qu’elle permet à elle seule d’améliorer l’accès aux soins. « Penser qu’il s’agit d’une solution qui résoudra notre problème de démographie médicale, c’est un leurre », tranche-t-il.
En route vers le digito-physique ?
Du côté des plateformes, la question du futur de la téléconsultation se pose également, mais d’une façon tout à fait différente. « Chez Livi, nous estimons qu’à terme nous avons une vocation d’offreur de soins à la fois en digital et en physique », explique Nicolas Leblanc. Pas question, pourtant, d’aller vers le modèle de la cabine de téléconsultation. « La téléconsultation médiée peut être intéressante, mais à terme, la miniaturisation fera que tout sera embarqué, et que la notion de cabine perdra de son sens », prédit le directeur médical de la plateforme. En revanche, il indique que 2025 sera une année où les perspectives de déploiement de centres de santé physiques (qui ne sont actuellement qu’au nombre de deux) seront particulièrement scrutées par Livi.
De son côté, Olivier Babinet estime qu’il y a encore un champ immense à exploiter pour aller au-delà « des patients qui font de la téléconsultation depuis leur canapé et qui tiennent sur leurs jambes ». Certes, des initiatives existent dans le secteur médico-social (voir ci-dessous), reconnaît-il, mais « quand on sait que les 600 000 résidents d’Ehpad n’ont en moyenne accès qu’à une consultation de spécialité par an, on se rend compte de l’énorme perte de chance que cela représente », pointe-t-il. Un constat fait également par la Cour des comptes qui souligne : « les personnes âgées et les personnes en situation de handicap résidant dans des établissements sociaux et médico-sociaux bénéficient très insuffisamment de ces actes ». Heureusement, il y a une manière plus positive de voir les choses : ce domaine représente un terrain de déploiement particulièrement fécond pour la téléconsultation.
Téléconsultation bien ordonnée
Le développement de la téléconsultation a entraîné une tentative de régulation de la part des autorités sanitaires. Celle-ci est intervenue en plusieurs temps. En 2021, l’avenant 9 à la convention médicale stipulait qu’à compter d’avril 2022, l’activité de téléconsultation et de télé-expertise, déjà soumise à un principe de territorialité, ne pouvait excéder 20 % de l’activité globale des médecins (règle assouplie par la convention de 2024, qui exclut du calcul les actes effectués auprès de la patientèle médecin traitant). Le plafond des 20 % s’est accompagné de la rédaction par l’Assurance-maladie d’une charte de bonnes pratiques de la téléconsultation en rappelant les grands principes (le présentiel qui doit rester « l’acte de référence », sécurité des données, prérequis technologiques…). Enfin, la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2023 rend obligatoire un agrément pour les plateformes, qui opéraient jusqu’ici sous le statut bancal de centre de santé. Cet agrément, délivré par le ministère de la Santé et valable deux ans, ouvre la voie au remboursement par l’Assurance-maladie, et garantit que les pratiques sont conformes aux standards de qualité définis par la Haute Autorité de santé (HAS). Les premiers ont été délivrés en avril 2024. Et en 2025, l’Assurance-maladie prépare les Assises de la téléconsultation.