C’est un bout de papier pas tout à fait comme les autres. Il vogue de main en main, messager discret mais essentiel dans le parcours de soins. Un bout de papier qui vit peut-être ses dernières heures en Belgique, où l’ordonnance sera bientôt exclusivement électronique.
Évoquée depuis 2012, la prescription électronique a connu en Belgique des débuts décousus. « Au départ, les médecins n’étaient pas spécialement demandeurs », se souvient le Dr Paul De Munck, président du groupement belge des omnipraticiens (GBO). Surtout, la profession a peu goûté la méthode employée par la ministre fédérale de la santé, Maggie De Block. « Les médecins ont eu le sentiment que les politiques leur imposaient leur propre agenda, sans tenir compte de la réalité : les délais imposés étaient très courts, alors que les fournisseurs de logiciels eux-mêmes n’étaient pas encore prêts », résume-t-il. Le caractère obligatoire de la réforme n’a rien arrangé.
Report, prime et exemptions
Résultat, l’obligation, initialement prévue pour 2018, a été repoussée à l’été 2019, puis à janvier 2020. Les syndicats ont obtenu du gouvernement une prime d’équipement (lorsque le médecin atteint 50 % de prescription électronique) et deux exemptions : afin de ne pas mettre en difficulté les plus anciens, potentiellement rétifs à négocier le virage digital, les médecins qui auront atteint l’âge de 64 ans au 1er janvier 2020 sont dispensés ; et pour des raisons de « connectabilité », les visites à domicile ou en maison de repos et de soin ne sont pas concernées.
Malgré ce démarrage poussif, la profession joue le jeu et adopte progressivement le dispositif. En mars 2019, près de 14 000 médecins belges (sur environ 40 000) ont ainsi édité quelque 4 millions de prescriptions électroniques. Et la part des généralistes qui la pratiquent avoisine déjà les 80 %…
Sans y voir une révolution, les praticiens reconnaissent quelques atouts à la prescription électronique. « Les plus évidents sont d’ordre pratique : plus de pertes d’ordonnances ou d’erreurs liées à la lecture d’une écriture manuscrite », explique Jacques de Toeuf, vice-président de l’Association belge des syndicats médicaux (Absym), pour qui « c’est la communication des données entre le médecin et le pharmacien qui reste l’avantage le plus certain ». Le médecin peut aussi consulter ce qui a été prescrit et délivré au patient. L’intérêt est double. « Éviter les prescriptions multiples, et savoir quels médicaments le patient a effectivement été chercher. Cette dernière information n’est pas inutile lorsque l’on sait que 30 % des médicaments prescrits ne sont finalement pas achetés », témoigne le Dr de Toeuf.
La confidentialité en question
Un autre avantage avancé – la réduction des erreurs de prescription – a toutefois fait l’objet d’une mise au point de l’Agence fédérale des médicaments et des produits de santé (AFMPS), en avril. « Si l’utilisation des prescriptions électroniques réduit le taux global d’erreurs (…), son utilisation peut conduire à d’autres erreurs telles qu'une mauvaise sélection de médicaments à partir des menus déroulants », alerte l’institution à qui plusieurs cas ont été signalés. De même, un certain nombre de bugs parasitent encore l’e-prescription.
Mais davantage que les erreurs ou les pannes, ce sont les implications éthiques du dispositif qui dérangent encore. « En matière d’e-prescription, c’est l’inquiétude principale », témoigne le Dr Marie Hechtermans, médecin généraliste et auteure d’une étude sur le sujet. « La question de la liberté thérapeutique et de la gestion des données de santé interpelle fortement la profession, souligne-t-elle. D’autant que le consentement du patient n’est pas spécifiquement requis ».
Si les médecins belges ont obtenu de garder la main sur ces précieuses données, via un système sécurisé baptisé Recip-e, ils appellent à la prudence. « Je pratique l’ordonnance électronique depuis 2018 mais je reste vigilante », confirme le Dr Marie Derache, généraliste à Bruxelles. « Je considère que nous n’avons pas aujourd’hui suffisamment de garanties quant à la sécurité et la confidentialité des données, et que la finalité du dossier pharmaceutique partagé pose question ».
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