Branle-bas de combat le 15 septembre 2018, jour où la téléconsultation a été généralisée sur l'ensemble du territoire hexagonal. Cela devait être une date historique. Avec une communication tous azimuts sur le numérique, le Gouvernement avait sonné la mobilisation générale. Ce que confirme Lydie Canipel, actuelle secrétaire générale de la Société française de télémédecine : « Nos gouvernants ont mis un coup d'accélérateur formidable pour injecter des moyens dans le numérique. » Or le jour J, personne n'est prêt. Un grand nombre d'obstacles demeurent pour répondre à ce défi national.
Zones blanches
Les premiers sont d'ordre technique. Les zones blanches empêchent d'utiliser correctement le haut débit, selon Lydie Canipel : « Nous sommes de très mauvais élèves en Europe. Certes, une commission interministérielle pour la 5G s'est mise en place, mais seulement pour une mise en oeuvre en 2020. Les opérateurs sont dans un milieu concurrentiel, mais n'ont pas la santé dans leur tête. » « Comment par ailleurs intégrer au processus de digitalisation les publics fragiles distants du numérique », s'interroge Alexis Vervialle (France Assos Santé), sinon par un accompagnement suivi ?
Concernant le matériel en tant que tel, l'absence de carte Vitale dématérialisée oblige également de façon absurde le médecin à rédiger une feuille de soins papier après une téléconsultation, souligne Jonathan Ardouin (Livi) dont la société a développé un système d'ordonnance électronique utilisable en pharmacie. Seul hic selon lui, « le pharmacien n'a jamais vu d'ordonnance électronique ».
L'interopérabilité et la sécurisation des données représenteront un autre enjeu majeur selon Thierry Wey (DSI, CH La Porte verte Versailles) : « La mise en place des interfaces pour le partage des données sera nécessaire pour le stockage des données, leur sécurisation et leur transfert dans le DMP ».
Besoin de formation pour les médecins
Au-delà des contraintes techniques et matérielles, de la connaissance et de la prise en main de l'outil par les acteurs dépendra la montée en puissance du dispositif. Premiers concernés, les médecins. Selon Eric Bouchard* qui perçoit encore une phase d'expérimentation, « il est beaucoup trop tôt pour faire une évaluation de qui fait quoi. Ni la Cnam, ni les syndicats de médecins ne savent comment l'avenant 6 va être utilisé. Toutefois, ces garde-fous me paraîssent nécessaires dans un premier temps. Cela permettra d'adapter en fonction des contraintes que nous n'aurons pas vues. »
Certains interlocuteurs décrivent un tableau encore plus sombre. Pour Nathalie Salle (Chu de Bordeaux, future présidente de la SFT), les médecins « manquent de formation : ils ne savent pas comment choisir l'outil, comment sécuriser les données, quels sont les droits dont ils disposent pour téléconsulter. » Ils ont même des a priori sur l'outil téléconsultation perçu « comme un soin déshumanisé. » Pour Marie-Laure Saillard (Mesdocteurs), tout reposera sur la manière dont les acteurs s'organiseront : « La technologie n'est pas une baguette magique. Le développement de la télémédecine nécessite que les médecins et les établissements s’approprient ces projets. » L'appropriation de l'outil par les médecins est bien la question centrale que se posent les professionnels de santé selon Eric Bouchard, d'ailleurs très sollicités par « la multitude de plateformes ».
Concurrence acharnée des plateformes
Ces dernières ajoutent encore plus de brouillard dans ce tableau opaque. Parties en ordre dispersé et dans une concurrence acharnée, elles ont des modèles économiques très hétérogènes. Certaines se cantonnent au conseil médical qu'elles font payer au patient. D'autres ont comme clients les adhérents des mutuelles. Enfin, la plupart se ruent sur l'avenant 6 avec des médecins traitants prestataires à temps partiel. Toutes promettent de rentrer dans ce cadre juridique et réglementaire, avec des nouvelles solutions logicielles qui sortent cet automne ou en 2019. Mais lesquelles au bout du compte les médecins doivent-ils choisir ? Les syndicats comme le SML sont en alerte. Ce dernier propose d'ores et déjà une solution gratuite à ses adhérents et prépare la rédaction d'une liste de plateformes et de leurs prestations.
Le plus parodoxal est la difficulté des autorités publiques ou des instances médicales à diffuser rapidement les bonnes pratiques. Certes, la Société française de télémédecine est déjà dans la place grâce à des formations à la carte (diplômes universitaires, formations sur le terrain). Selon Nathalie Salle, « nous expliquons aux médecins que dans le cadre du suivi des patients atteints de maladies chroniques, la télémédecine peut être utilisée pour espacer les consultations physiques ». Ce qui est plus surprenant, c'est que (selon Lydie Canipel), l'Asip santé doive sortir un référentiel avant la fin 2018 et la HAS un référentiel des bonnes pratiques. Sans oublier des fiches pratiques de type « La télémédecine pour tous publiées prochainement par la SFT, le Cnom, la DGOS et la HAS. Bref, des outils documentaires dont ne disposaient pas les professionnels de santé le 15 septembre dernier.
La Cnam semble également attentive et prend des gants pour annoncer par la voix d'Annelore Coury (directrice déléguée à la gestion et à l’organisation des soins à la Cnam) : « Le développement de la téléconsultation ne va pas se faire du jour au lendemain. » Toutefois, le volet pour l'évaluation est bien prévu, même si aucun calendrier n'a été fixé pour l'instant : « Il y aura un observatoire des mesures conventionnelles pour suivre l'évolution des pratiques en matière de téléconsultation et de téléexpertise [Ce volet entre dans le droit commun en février 2019]. Nous ferons un bilan partagé avec les représentants des professionnels de santé afin d'estimer le déploiement et l’utilisation effective de ces nouveaux actes. »
Cerise sur le gâteau, même ceux qui sont au bout de la chaîne du soin, les représentants de patients s'interrogent telle soeur Anne qui ne voit rien venir. Comme le précise Alexis Vervialle (France Assos Santé, fédérations d’association de patients) : « Même dans les territoires où la téléconsultation a été expérimentée, nous avons peu de retours, c'est resté confidentiel. Même un des grands de la prise de RDV en ligne comme Doctolib ne fait son entrée sur le marché de la télémédecine que l'année prochaine. »
Ceux qui s'en sortent le mieux au bout du compte et à l'avant-garde du dispositif sont la cible des seniors. Il s'agit de la seule population qui s'empare pour l'instant du sujet. Les hôpitaux et les Ehpad y ont rapidement vu l'intérêt de la télémédecine, bien avant la parution de l'avenant 6 (Cf. reportage La Porte verte).
Ehpad à Bordeaux à la pointe du dispositif
En témoigne l'exemple d'une pionnière, Nathalie Salle (gériatre, Chu de Bordeaux) ayant mené sa première téléconsultation en 2012 dans la région de Bordeaux : « Cela a bien fonctionné tout de suite parce que nous étions dans un contexte d'Ehpad avec le médecin et les soignants dans une véritable coconstruction. » Au départ, l'expérimentation a commencé sur six Ehpad seulement et uniquement sur les plaies. Aujourd'hui, l'élargissement a été opéré sur 55 Ehpad couvrant cinq thématiques. Un grand nombre de médecins spécialistes se sont joints à ce projet pour répondre aux demandes des Ehpad. Ces cinq thématiques ont été identifiées via une enquête diligentée auprès des médecins généralistes par l'ARS. « Ce job était important à faire, afin de répondre au mieux à leurs attentes », insiste Nathalie Salle. Les pathologies traitées sont les troubles du comportement chez les patients ayant une maladie d'Alzheimer, les plaies chroniques, la dermato (mélanome, eczma, psoriasis), les déformations tendineuses et les soins palliatifs. Dans cet exemple, il n'est plus question de parcours du soin, mais de soin à distance réalisé de façon plus souple pour tous. Les projets se multiplient. La téléconsultation, un avenir prometteur pour la gériatrie ?
* MG, membre trésorier du SML, gère plusieurs organismes de formation, expert télésanté, gère le congrès Cybermed depuis quatre ans orienté sur la e-santé.
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