À l’issue d’une navette parlementaire plus longue qu’à l’accoutumée, obligeant deux gouvernements à en découdre avec le Parlement, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS 2025) a été définitivement adopté après le vote conforme du Sénat le 17 février. Mais le sort de cinq mesures emblématiques n’en est pas moins incertain.
La taxe lapin : médiatique mais peu réaliste
Ce budget de la Sécu (LFSS) entérine la taxe lapin, un principe de pénalité visant à sanctionner les rendez-vous médicaux non honorés dans le but de responsabiliser les assurés. Comment ? En réclamant aux patients une somme forfaitaire lorsqu’ils ne se présentent pas à leur rendez-vous ou l’annulent sans respecter un « délai raisonnable » et sans le justifier d’un motif impérieux. Très médiatisé car touchant au porte-monnaie de l’ensemble de la population française, cette mesure a aussi bénéficié de l’aura de l’ex-Premier ministre Gabriel Attal, qui défendait déjà début 2024, lorsqu’il était aux affaires, l’idée d’une amende de cinq euros à reverser aux professionnels de santé.
Or la concrétisation de cette taxe, que des élus plus ou moins connaisseurs du sujet ont transformée en argument de vente politique, réclame de réussir un parcours semé d’embûches. D’une part, le montant et les modalités sont renvoyés à un décret, que le gouvernement peut tout à fait enterrer. Ensuite, facturer un lapin sous-entend une modification du Code de la santé publique, ce qui n’est jamais simple. De plus, quid de la charge de la preuve juridique, car comment prouver que le patient n’a pas essayé de joindre le praticien pour annuler le rendez-vous ? Quid encore de l’utilisation de l’empreinte bancaire au regard des 3,3 millions de Français dépourvus de système de paiement dématérialisé ? Certes, pour le président des Généralistes-CSMF, le Dr Luc Duquesnel, le problème technique n’est pas vraiment là puisque « l’empreinte bancaire est déjà utilisée, comme lors des téléconsultations, explique-t-il au Quotidien. Parfois, ce sont même les enfants qui prennent rendez-vous pour leurs parents ». Il s’agirait plutôt d’un problème politique et réglementaire. Le risque de censure du Conseil constitutionnel (à l’étude à l’heure où nous écrivons ces lignes), réclamé par les députés LFI qui jugent que cette taxe met à mal l’accès aux soins, est donc bien réel.
Le retour du DMP (qui bouge encore)
Le budget de la Sécu ouvre aussi la possibilité d’inscrire dans le marbre conventionnel un principe de modulation de la rémunération des professionnels de santé, à la hausse ou à la baisse, en fonction de la consultation et du renseignement du dossier médical partagé (DMP) pour certaines prescriptions sensibles. Cette idée, issue d’un amendement déposé par la sénatrice et rapporteure du texte Corinne Imbert (app. LR) et soutenu du bout des lèvres par la ministre de la Santé d’alors, Geneviève Darrieussecq, se voulait au départ une incitation positive à se saisir du DMP, outil lancé par Philippe Douste-Blazy et qui vient de fêter ces deux décennies d’existence. Mais sa concrétisation risque de se frotter à la grogne des soignants, dont le lobby, quoiqu’affaibli sous la mandature d’Emmanuel Macron, reste vivace. « Ce n’est pas possible d’utiliser le DMP en l’état, confirme Philippe Besset, président des Libéraux de santé. Ce le sera quand, d’un point de vue informatique, ce sera automatisé, comme c’est le cas pour le dossier pharmaceutique ». Au mieux, veut croire le pharmacien, cet article de la LFSS « donne la direction et sera, comme c’est souvent le cas, mis en musique plusieurs années après le vote. » Ou pas, selon un changement de cap politique dans l’intervalle.
Pertinence des prescriptions : beaucoup de bruit…
Risque de censure, confrontation à venir avec les médecins et nécessité de sortir des tiroirs de Ségur un arrêté, qui plus est après consultation des professionnels de santé… La route sera longue pour cette mesure qui contraint les médecins à motiver par un formulaire certaines prescriptions d'actes, produits de santé et prestations (à définir) « particulièrement coûteuses » ou présentant un « risque de mésusage » pour qu’elles puissent être prises en charge par la Sécu. Le Dr Jérôme Marty, président « effaré » de l’UFML-S, ne se prive pas de qualifier cette disposition de « simplement idiote ». « On ne peut pas faire le constat que le système est à terre et qu’il faut donner du temps aux soins et, en même temps, pour des économies de bout de chandelle, leur tartiner du temps administratif en plus », s’agace-t-il. Le temps médical : le nerf de la guerre, et du boycott qui se profile à l’horizon si la mesure voit le jour, a tout de suite fait savoir la CSMF. Car sur ce sujet également, les députés LFI, à l’origine de la saisine du Conseil constitutionnel, veillent au grain.
Imagerie médicale : la foudre tarifaire s’abattra-t-elle ?
Après de vifs débats, le texte budgétaire autorise le directeur général de la Cnam à procéder à des baisses de tarifs dans les champs de l'imagerie (et des taxis conventionnés pour les transports sanitaires), à défaut d’accords de « maîtrise de dépenses » conclus entre les professionnels et l’Assurance-maladie avant le 30 septembre 2025. Dans chacun de ces secteurs, « au moins 300 millions d'euros d'économies » devront être réalisés au cours des années 2025 à 2027. L’objectif est donc d’obtenir de gré ou de force des accords pluriannuels de régulation.
Cette mesure a fait couler beaucoup d’encre syndicale du côté de la Fédération nationale des médecins radiologues (FNMR). Pendant les semaines précédant le vote de la loi, les oreilles du directeur général de la Cnam, Thomas Fatôme, ont vibrionné, le président du syndicat de spécialistes, le Dr Jean-Philippe Masson, alertant sans cesse sur une « méthode insupportable » qui met à bas le pacte conventionnel et place un « pistolet sur la tempe » des médecins. Reste que la FNMR n’en est pas à son premier accord triennal et que le radiologue libéral reconnaît sans trop de difficulté le bien-fondé d’un travail sur la pertinence, avec des économies à réaliser de manière pérenne. Si baisses tarifaires il y a, la fédération les « refusera ». Certes. Mais, au préalable, bander les muscles et faire du raffut médiatique permet surtout aux spécialistes de ne pas arriver en position de faiblesse à la table de Thomas Fatôme. Et ainsi d’éviter la foudre tarifaire.
Les centres de soins non programmés dans le clair-obscur
La LFSS pour 2025 fixe un cadre juridique aux centres de soins non programmés, qui devront respecter « un cahier des charges relatif aux principes d’organisation et aux caractéristiques de leur exercice, à l’accessibilité de leurs locaux, à leurs services, aux délais de prise en charge, à l’orientation des patients dans le parcours de soins et aux prestations minimales attendues ». Les professionnels de santé y exerçant seront tenus de participer au service d'accès aux soins (SAS) ainsi qu'à la permanence des soins ambulatoires (PDS-A).
Mais, là encore, dans l’attente d’un décret d’application, le flou règne. Lever le voile sera d’autant plus délicat que les politiques eux-mêmes y perdent leur latin. Faut-il condamner ces centres au principe qu’ils créent, comme le dénonce la présidente de MG France, la Dr Agnès Giannotti, « une fuite des médecins pour un exercice lucratif, qui ne rend pas suffisamment service à la population » ? Ou au contraire les soutenir puisqu’ils jouent aussi sur le désengorgement des urgences ? Le décret devrait agir comme un curseur et préciser la position, pour l’instant très ambivalente, du gouvernement sur le sujet. Si décret il y a.
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