En tant que pédiatre-pneumologue, j'ai eu vu en consultation un très grand nombre de patients au motif de toux récidivante, d'infections ORL récurrentes accompagnées le plus souvent de bronchites sifflantes ou non. Cette situation, évidemment inquiétante pour la famille, est, on le sait, souvent en rapport avec les « infections de l'apprentissage immunitaire » lorsque l'examen clinique est négatif et que le développement auxologique de l'enfant est normal. Il s'agit ici le plus souvent d'enfants d'âge préscolaire.
Je me souviens de l'un de ces patients que nous appellerons Mathieu pour simplifier, âgé de 3 ans. Son état général était bien conservé. L'examen clinique était négatif mais la fréquence des épisodes infectieux (une dizaine par an) faisait conseiller quelques investigations, en particulier une radiographie thoracique et, en raison des sifflements, des prick-tests aux allergènes usuels. Une sensibilisation débutante aux acariens de la poussière de maison fut détectée. La radiographie du thorax était normale. Mais le fait marquant de cette banale observation clinique, toujours gardée en mémoire, était constitué par les paroles de la mère : « Docteur, j'ai aussi une fille âgée de 5 ans : elle a exactement les mêmes symptômes que Mathieu. Est-ce qu'il faut que je vous la montre aussi ? ». Étonnant ! Ainsi, à pathologie apparemment comparable, cette mère semblait davantage se soucier de la santé de son fils (conduit en consultation hospitalière) que de celle de sa fille !
Syndromes coronariens aigus…
Cette « histoire clinique » nous a semblé anecdotique – jusqu'à la parution, en 1991, d'articles montrant l'existence d'un « biais sexiste » dans le diagnostic et la prise en charge de certaines maladies, à commencer par les syndromes coronariens aigus, au cours desquelles les femmes étaient moins souvent hospitalisées que les hommes. Et, lorsqu'elles l'étaient, elles bénéficiaient moins souvent que les hommes de traitements de revascularisation (1,2). Par la suite, plusieurs articles publiés dans des revues dotées d'un comité de lecture, ou spontanément sur la toile, ne se posaient plus la question de savoir s'il existait véritablement une « médecine sexiste » mais l'affirmaient sans nuance. Il s'agissait probablement du syndrome de Yentl !
Qu'est-ce que ce syndrome ? Dans une nouvelle d'Isaac Bashevis Singer, Yentl (qui est une fille) est obligée de se déguiser en garçon pour pouvoir entrer dans une école talmudique. Fort opportunément, Bernardine Healy a utilisé le terme de « syndrome de Yentl » pour désigner l'inégalité homme/femme dans le diagnostic et le traitement des coronaropathies. Selon Healy, « devenir juste un petit homme est pour une femme le prix à payer pour obtenir l'égalité ».
Nous ne pensons pas du tout qu'il existe une « cardiologie sexiste ». Par contre, une opinion commune est (ou plutôt a été) de considérer que les œstrogènes protègent les femmes vis-à-vis des coronaropathies et de l'infarctus du myocarde, ces risques étant différés d'environ dix ans par rapport à celui des hommes (3). L'expérience professionnelle, actuellement fortement relayée par les médias, mais avec un certain retard, indique que le diagnostic de syndrome coronarien aigu est souvent méconnu chez les femmes, peut-être, et même probablement, par ignorance. En effet, les symptômes sont souvent différents chez la femme où ils sont fréquemment digestifs ou pseudo-digestifs. De plus, les femmes présentent plus souvent que les hommes un angor instable, un électrocardiogramme d'effort négatif et des artères coronaires d'aspect normal à la coronarographie. Nous connaissons également de nombreux cas où, chez l'homme, le tableau d'infarctus myocardique affecte une symptomatologie d'aspect digestif, ce qui est responsable d'un retard considérable du diagnostic.
Une requête effectuée sur PubMed avec le terme « syndrome de Yentl » ne fournit qu'une cinquantaine de références d'articles indexés après les années 2000. Si la plupart s'adressent aux coronaropathies, d‘autres concernent l'hypertension artérielle (4), la douleur thoracique aiguë (5), l'insuffisance rénale chronique (6) et l'asthme (7, 8)
L'asthme deux fois plus fréquent chez les garçons
La grande majorité des études épidémiologiques effectuées au cours de l'asthme, en particulier l'enquête Isaac (International Study of Asthma and Allergy In Childhood), montre que l'asthme est deux fois plus fréquent chez les garçons que chez les filles (9). En France, cinq centres ont participé à l'étude Isaac mais seulement deux villes ont étudié la tranche d'âge de 6-7 ans, où la prévalence cumulée de l'asthme est de 9,3 % à Bordeaux et de 6,7 % à Strasbourg (10). Ces résultats suggèrent un « effet centre » lié à une influence délétère du littoral Atlantique comme cela est observé pour d'autres centres européens (par exemple au Portugal par rapport à l'Espagne). Cette influence est attribuée à une plus forte exposition aux acariens de la poussière de maison sur la façade Atlantique. Comme ailleurs, une prédominance masculine significative était observée aussi bien à Bordeaux qu'à Strasbourg pour les sifflements, les crises d'asthme, la toux nocturne et les sifflements déclenchés par l'effort physique.
Ce déséquilibre lié au sexe, pratiquement toujours observé dans la littérature (11), est généralement expliqué par un rapport calibre bronchique/volume pulmonaire inférieur chez le garçon, un terrain atopique plus fréquent, un niveau de réactivité bronchique plus élevé ou, pour certains, par le syndrome de Yentl qui exprime le fait d'attribuer plus d'importance à la santé des garçons qu'à celle des filles (7,8,12), comme le suggérait notre observation clinique introductive… Se fondant sur le sex-ratio 2/1 que fournit la majorité des études épidémiologiques sur l'asthme, certains sites médicaux de la toile n'hésitent pas à utiliser des titres choc ! Au cours de l'une de ces études, effectuée entre 1991 et 1995 à Fos-sur-Mer, basée sur des questionnaires fournis aux parents et portant sur 3 500 enfants de 13-14 ans le titre du commentateur était sans nuance : « Syndrome de Yentl. La médecine est-elle sexiste ? » (13). La « médecine » et probablement aussi « les médecins » voire les patients.
Savoir reconnaître des phénotypes différents
En ce qui concerne l'asthme, il faut revenir aux sources de cette discussion qui fut lancée en 1995 par deux auteurs Suisses, Sennhauser et Kühni (7,8), pour lesquels le syndrome de Yentl – capacité de porter moins facilement le diagnostic d'une affection chez la fille que chez le garçon – existerait au cours de l'asthme. Si on lit bien les auteurs, on s'aperçoit que les raisons de cette distorsion ne sont guère sexistes mais plutôt médicales, liées au mode de présentation de l'asthme qui, pour ces auteurs, est différent chez les filles et chez les garçons. Cela soulève l'importante question des « phénotypes et des endotypes de l'asthme » bien analysée par Adnan Custovic dans la dernière édition du « Middleton's Allergy Essentials » (14). Dans les deux articles de Sennhauser et Kühni (7,8), l'asthme des filles se caractérise par davantage de « toux équivalent d'asthme » et moins de sifflements thoraciques. Le constat est rigoureusement inverse chez les garçons, ces derniers ayant moins de « toux équivalent d'asthme » et davantage de sifflements thoraciques. Évidemment, sans l'intervention d'un « biais sexiste », ce retard diagnostique très préjudiciable pour les filles, pourrait (dans une certaine mesure) expliquer que l'asthme est souvent plus grave chez les jeunes femmes asthmatiques dont la fonction respiratoire est en moyenne plus fortement altérée que celle des garçons asthmatiques (7,8).
Sur la vingtaine de publications indexées qui concernent le syndrome de Yentl, la plupart s'adressent aux maladies cardiovasculaires qui, depuis quelques années, bénéficient, comme nous l'avons précédemment indiqué, d'une campagne médiatique importante et justifiée. Les « coronaropathies et l'infarctus ne sont pas l'apanage des hommes et, contrairement à une idée reçue, les femmes ne sont pas protégées » : faire passer ce message sans relâche est très important.
Ce syndrome pourrait aussi exister au cours du syndrome métabolique, mais les complications cardiovasculaires sont plus importantes chez les femmes (15,16).
Reste une autre inégalité qui traduit l'évolution de nos modes de vie : selon l'Observatoire des Inégalités (17) « en moyenne les garçons nés en 2014 peuvent compter vivre 79,3 ans et les filles 85,5 ans, compte tenu des conditions de mortalité du moment, soit 6,2 années d'écart en faveur des femmes. Les hommes âgés de 60 ans en 2014 peuvent compter sur 23,2 ans d'espérance de vie et les femmes du même âge 27,7 ans, soit 4,5 années d'écart ». L'écart se resserre entre les sexes pour l'espérance de vie en bonne santé et cette situation est en grande partie liée à l'adoption par les femmes de modes de vie à risque dont la consommation d'alcool et surtout de tabac ne sont que deux parmi les comportements les plus documentés.
Pneumopédiatre allergologue
(1) Healy B. The Yentl syndrome. New Engl J Med 1991;325(4):274-6.
(2) Ayanian JZ, Epstein AM. Difference in the use of procedures between women and men hospitalized for coronary heart disease. New Eng J Med 1991;325(4):221-5.
(3) Martin du Pan RC. Syndrome de Yentl ou la médecine sexiste. Rev Méd Suisse 2009;5(220):2005.
(4) Milosavljević J, Ostojić M, Vujicić-Tesić B, Zdarovković M, Marinković J, Milić N.The Yentl syndrome in women with arterial hypertension and positive findings on the echocardiography dipyridamole stress test. Srp Arh Celok Lek 2001;129(11-12): 285-90.
(5) Johnson PA, Goldman L, Orav EJ, Zhou L, Garcia T, Pearson SD, Lee TH. Gender differences in the management of acute chest pain. Support for the "Yentl syndrome". J Gen Intern Med 1996;11(4):209-17.
(6) Carney S, Gillies A, Niddrie J.Sex bias in the treatment of chronic renal failure: does the Yentl syndrome really exist ? Med J Aust 1994;161(6):400.
(7) Kühni CE, Sennhauser FH. The Yentl syndrome in childhood asthma: risks factors for undertreatment in Swiss children. Pediatr Pulmonol 1995;19(3):156–60.
(8) Sennhauser FH, Kühni CE.Prevalence of respiratory symptoms in Swiss children: is bronchial asthma really more prevalent in boys? Pediatr Pulmonol 1995;19(3):161-6.
(9) Tunon de Lara M, Raherison C, Taytard A. Épidémiologie de l’asthme chez l’enfant. In « Les Allergies.fr », 2001 (consulté le 20 mai 2017.
(10) Raherison C, Tunon de Lara JM, Taytard A, Kopferschmitt-Kubler MC, Quoix E, Pauli G. Prévalence de l'asthme chez l'enfant. Rev Mal Respir 1997; 14: 4S33-4S40.
(11) Gergen PJ, Mullaly DI, Evans R. National survey of prevalence of asthma among children in the United States, 1976 to 1980. Pediatrics 1988;81:1-7
(12) Charpin D, Raherison C, Dutau H, Taytard A. Epidémiologie des maladies allergiques respiratoires : données actuelles. Rev Mal Respir 2000;17:139-158.
(13) Syndrome de Yentl. La médecvine sexiste rexiste. Esculape.com (consulté le 20 mai 2017).
(14) Custovic A. Epidemiology of allery diseases. In : Middleton’s Allergy Essentials. O’Hehir R, Holgate ST, Sheikl A. Elsevier, 2017, pp. 51-72.
(15) Santilli F, D’Ardes D, Guagnano MT, Davi G. Metabolic syndrome : sex-related cardiovascularv risk and therapeutic approach. Curr Med Chem 2017;24(24) : 2602-27
(16) Pucci G, Alcidi R, Tap L, Battista F, Mattace-Raso F, Schillaci G. Sex-and gender-related prevalence, cardiovascular risk and therapeutic approach in metabolic syndrome : Aareview of the litterature. Pharmacol Res 2017;120:34-42.
(17) Observatoire des Inégalités. Espérance de vie : avantages aux femmes » http://www.inegalites.fr/spip.php?page=article&id_article=1436 (consulté le 21 mai 2017).
Transition de genre : la Cpam du Bas-Rhin devant la justice
Plus de 3 700 décès en France liés à la chaleur en 2024, un bilan moins lourd que les deux étés précédents
Affaire Le Scouarnec : l'Ordre des médecins accusé une fois de plus de corporatisme
Procès Le Scouarnec : la Ciivise appelle à mettre fin aux « silences » qui permettent les crimes